À perpétuité
- Karine Payette
Articles
Outrage sur l’animal, Éric Clément, La presse +, édition du 7 avril 2018.
Les visiteurs parcourent le zoo en regardant les animaux. Ils vont de cage en cage, non sans rappeler les visiteurs d’une galerie d’art, s’arrêtant devant chaque tableau avant de passer au suivant, puis au suivant encore. Sauf qu’au zoo, la vision est toujours faussée. Comme une photo mal mise au point.
– John Berger, 1980
Avec À perpétuité, l’artiste montréalaise Karine Payette poursuit sa réflexion entamée il y a quelques années autour des rapports complexes que l’humain entretient avec les autres espèces. Elle conjugue ici deux thèmes phares de sa pratique multidisciplinaire, soit l’habitat et le vivant. Si l’univers domestique, les espaces de vie et l’incessante quête de (ré)confort ont formé un aspect majeur de sa démarche, cette installation cinétique constitue le point d’amorce d’un nouveau corpus tourné cette fois vers les environnements artificiels dans lesquels évoluent les animaux, comme les jardins zoologiques, les cirques et les animaleries.
Fascinée par ces lieux où l’émerveillement côtoie le désenchantement, Payette s’est particulièrement intéressée aux troubles compulsifs développés par les pensionnaires qui y sont logés. Il a été démontré que le confinement, l’ennui et la proximité imposée avec les humains peuvent entraîner un stress important chez les animaux. La présence de stéréotypies, qui sont des comportements anormaux chroniques, constitue à cet égard l’un des signes les plus évidents de ce que certains spécialistes qualifient de « zoochose » (vocable formé par la contraction de zoo et de psychose). Ces mouvements peuvent être aisément remarqués lors d’une visite au zoo, à l’exemple d’un félin qui arpente sa cage en faisant des allers-retours selon un parcours précis, ou encore d’un ours qui se balance sur place de manière répétée.
Conçue à partir d’observations in situ et de recherches issues de l’éthologie, À perpétuité nous invite à pénétrer dans un espace immersif qui semble hors du temps. L’installation est composée de trois aquariums plongés dans l’obscurité dans lesquels se meuvent des spécimens non identifiés. Une eau trouble de teinte turquoise voile et sublime tout à la fois la présence de ces curieux animaux. S’agit-il de mammifères aquatiques? Nul ne saurait le confirmer avec certitude. Quelques instants suffisent toutefois pour que la fascination cède place à la perplexité : ce qui se présentait de prime abord comme étant un dispositif familier se révèle plutôt être une présence inquiétante. Semblant en proie à une forme de folie, les animaux effectuent des cercles réguliers sans jamais s’arrêter. Payette met ainsi en scène une vision précisément faussée, ambiguë, autour de la problématique du vivant.
– Julia Roberge Van Der Donckt
Berger, John, « Why Look at Animals? » (1980), trad. fr. Katia Berger Andreadakis, Pourquoi regarder les animaux ?, dans John Berger, Au regard du regard, Paris : L’Arche, 1995, pp. 7-35.
Biographie de l’auteure
Julia Roberge Van Der Donckt a complété un doctorat en histoire de l’art à l’Université de Montréal en 2017, où elle a également été chargée d’enseignement. Sa thèse, intitulée Ce que la polémique fait aux œuvres. Une étude en trois temps de controverses dans l’art contemporain, retrace le développement de scandales artistiques récents. Elle mène actuellement des travaux de recherche ayant trait à l’usage et à la représentation des animaux non humains dans la culture et les arts visuels. Auteure de Vers une esthétique antispéciste?, publié dans esse : arts + opinions en 2016, elle a également dirigé un numéro spécial « Arts » de Véganes, magazine contreculturel, qui paraîtra à l’automne 2018.
Biographie de l’artiste
Née en 1983, Karine Payette vit et travaille à Montréal. Elle détient une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Depuis 2010, ses œuvres ont été présentées dans des expositions individuelles, notamment Confort instable à la Galerie de l’UQAM, Le dernier intervalle à la maison de la culture du Plateau-Mont-Royal, Capture à Art Mûr Leipzig (Allemagne) et L’ombre d’un doute au Centre Expression à Saint-Hyacinthe.
Elle a participé à plusieurs expositions collectives, en particulier au Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul en 2013, Les contemporains au MAC en 2014, Jouer le décor au château de Goulaine à Nantes (France) en 2015, Manif d’art 8 – La biennale de Québec et Mnémosyne au Musée des beaux-arts de Montréal en 2017. Depuis 2015, Payette a réalisé trois projets d’intégration des arts à l’architecture pour des écoles montréalaises. Son travail se retrouve dans plusieurs collections privées ainsi que dans la collection du Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul, la Collection d’œuvres d’art de la Ville de Montréal et de la collection Prêt d’œuvres d’art du Musée national des beaux-arts du Québec.