À quelle enseigne te blottir?
- Michèle LORRAIN
HABITER
À deux ans, j’ai construit des châteaux de sable, à vingt, je les ai transportés en Espagne. Dix ans plus tard, j’ai bâti avec mes enfants des écoles et des gratte-ciel, en briques jaunes et bleues. J’ai ensuite imaginé une ville pour loger toutes ces constructions, puis celles de Catherine et de Jean, comme celles des autres qui, avec les années, sont passés devant chez moi : un amoureux, une infirmière, un cuisinier, une avocate. Ils vivaient tout près, mais je ne les ai jamais connus.
J’habite une maison dont personne n’a vu le décor. Je suis encore une inconnue.
C’est une question d’éternité. Rien ne finit, et je ne finis rien. Pour que le chemin reste ouvert. Pour que chacun découvre son espace. Un espace dont l’enveloppe pourrait être faite de toile blanche émaillée de pastilles rouges, recouvrant un intérieur à peine visible, puisque nous cachons tous un secret. Blanc iceberg, rouge feu, un mélange imprévu, une rencontre impossible. Un abri fragile, qui occupe un terrain sans limites, une coquille déposée sur une âme nue.
Peut-être aurais-je voulu devenir une architecte de jardins intimes? Cultiver le vocabulaire de l’inconscient. Sur les tours de mes châteaux, le roi et sa cour demeurent muets. Je dessine des rues sans indiquer la route à suivre. Et quand je montre une maison, c’est pour mieux parler des autres à venir. Un jour, pour en dévoiler l’intérieur, j’ai peint des chaises immenses, plutôt confortables j’imagine, où seules des ombres pouvaient s’asseoir.
Souhaitant m’expliquer davantage, j’ai accroché aux murs quatre miroirs où vous avez affronté quatre mots : for, fin, fou, foi. Une machine à réfléchir qui renvoyait, confondus, votre destin et le mien.
Le terrain où je travaille est vague. Je travestis les lieux pour raconter le monde. Parfois, sous mes yeux incrédules, passé, présent et futur s’opposent, alors que chacun contient l’autre. Je superpose les couches du temps pour y inscrire une présence. Je propose des liens, mais je n’impose rien. Il y a parmi nous des gens qui s’acharnent à recueillir des votes, pour parler en notre nom. Cependant, il n’y a pas d’élu pour évoquer nos joies ou nos peines. Je ne peux parler qu’en mon nom, préférant utiliser les sacs qui ont jadis transporté des votes pour raconter des histoires pleines d’images, de mots et de trous. Tout comme ces instantanés de maisons, soustraites au regard, qui peuplent les villes.
Je ne peux pas tout dire. Mon geste, c’est de la peinture placée sur une toile fixée sur du bois. Mon action, c’est d’occuper un cube. Mon rôle, c’est d’être ici, près de vous, telle que je suis ou telle que vous m’imaginez, puis de disparaître. Ce qui restera de notre conversation appartient au délicat assemblage des matériaux de la mémoire, de la vie elle-même. La maison que vous voyez n’est pas une maison. J’aimerais tout dire, mais je n’en sais pas plus. Et vous ?
Claude Edgar Dalphond
FORMATION
1986 – Maîtrise en arts plastiques, option création, UQÀM.
1982 – Baccalauréat en arts visuels, option arts plastiques, Université Laval, Québec.
EXPOSITIONS INDIVIDUELLES RÉCENTES
2005 – À quelle enseigne te blottir? Vaste et Vague, Carleton.
2005 – Vox : voix blanche, Grave, Victoriaville.
2004 – Voix blanche, Centre Gérard-Ouellet, Saint-Jean-Port-Joli.
2003 – Vox, Musée d’art contemporain des Laurentides, Saint-Jérôme.
2003 – Vox, Centre d’exposition Val-d’Or.
2001 – D’où tant de fragilité, d’où tant d’inconstance? Regart, Lévis.
EXPOSITIONS COLLECTIVES RÉCENTES
2005 – À l’échelle 1: 6 Parcours d’art public, Centre Gérard-Ouellet, Saint-Jean-Port- Joli.
2005 – Mes vingt ans, Grave, Victoriaville
2004 – Synecdote, Centre d’exposition de Gouverneurs, Sorel
2000 – Événement Motus!, Pleins Sud, Longueuil
RÉSIDENCE
2004 – Centre national de recherche et de diffusion en arts contemporains et numériques, Sagamie, Alma
Michèle Lorrain enseigne les arts plastiques aux Cégep de La Pocatière depuis 1998. Elle est membre de plusieurs Centre d’artistes dont Plein Sud (Longueil), SKOL (Montréal), La Chambre Blanche (Québec), CIRCA (Montréal).