Angles de dérive

  • Amélie PROULX
du 14 mars au 2 mai 2015

Glissement de terrain

Amélie Proulx part de la prémisse qu’avant sa cuisson, l’argile est infiniment souple et malléable, mais qu’ensuite,
ce matériau devient fixe, immuable même. L’artiste manipule la céramique de façon à lui rendre son élasticité d’origine, sans néanmoins camoufler la pérennité de sa caléfaction. Proulx met la porcelaine en scène de diverses manières pour en amplifier les phénomènes, les qualités acoustiques, les mouvements géologiques; pour en révéler la fragilité autant que la souplesse. Ainsi, ce que l’artiste dévoile à travers son travail remue autant de métaphores liées au riche bagage sémiotique de son matériau de prédilection : la constante mutation du monde, les
mécaniques du langage, entre autres.

Par contre, si le travail d’Amélie Proulx cherche à examiner les qualités de la porcelaine, souvent, elle les défie également. Elle active la céramique dans le but de générer un glissement de sens quant à notre compréhension de multiples manifestations physiques. Proulx allégorise les phénomènes naturels qui l’intéressent et les traduit en d’inspirantes images ou en épatants mécanismes. Souvent, l’artiste va jusqu’à investir le regardeur comme
l’instigateur des mouvements et jeux de ses oeuvres. Lorsque c’est le cas, les installations interactives d’Amélie Proulx engagent le visiteur dans une expérience multisensorielle. Devenant le chef d’orchestre des musiques et mouvements du travail de l’artiste, le regardeur peut enquêter son astucieux fonctionnement ou encore simplement s’amuser à l’administrer. L’artiste sollicite la capacité d’action subjective et individuelle du public afin de déterminer le dénouement irrésolu de son oeuvre.

Bien que les oeuvres présentées dans cette exposition ne soient pas à caractère interactif, l’artiste expose néanmoins une pièce cinétique et sonore dont les mouvements s’inspirent du ballotement de l’eau et de la mer. Sur des structures basses, des plateaux pivotants s’activent de haut en bas selon une trajectoire programmée différemment pour chacune des plaques d’acier. Les petites pièces de porcelaine posées sur celles-ci se mettent alors à danser, leur corps fragile s’entrechoquant en une chorale de clochettes. Dans Montagnes réversibles, des pièces murales réalisées lors d’une résidence au European Ceramic Work Centre aux Pays-Bas, Proulx présente les moules surdimensionnés de l’intérieur de ses mains. Lors du transfert technologique de ces matrices, les empreintes digitales de l’artiste sont disparues, faisant place à des lignes qui ressemblent plutôt à des cartes topographiques. En assemblant deux sections de mains de manières distinctes, Proulx réalise un paysage qui est à la fois le sien et le résultat d’une traduction technologique, une cartographie tour à tour intime et anonyme.

À travers le déploiement de divers stratèges, le travail d’Amélie Proulx balance entre le désir de dissimuler et de dévoiler, entre mouvement organique et mécanisé, entre phénomène naturel et intervention humaine, entre organique et inorganique. Ses oeuvres n’expliquent rien, elles encensent plutôt la splendeur des phénomènes inexpliqués et des espaces encore énigmatiques. Elle éveille ainsi chez son auditoire un comportement naïf qu’on associerait peut-être à l’enfant, mais qui, chez Proulx, est essentiel à l’émerveillement que ses oeuvres produisent.

Anaïs Castro


Amélie Proulx est une artiste multidisciplinaire qui vit et travaille à Québec. Elle s’intéresse aux glissements de sens possibles dans le langage et dans la perception des phénomènes naturels. Elle détient une maîtrise du Nova Scotia College of Art and Design University à Halifax. Son travail artistique a été présenté dans des expositions individuelles et collectives au Canada, aux États-Unis, en Australie ainsi qu’en France. En 2013, elle était la récipiendaire du RBC Emerging Artist People’s Choice Award présenté au Gardiner Museum de Toronto. Elle a réalisé diverses résidences de création, notamment au Frans Masereel Centrum (Belgique, 2006), au Centre for Art Tapes (Halifax, 2010) et au European Ceramic Work Centre (Hollande, 2014). En 2015, elle sera en résidence au Guldargergaard International Ceramic Research Center au Danemark où elle poursuivra ses recherches sur les mouvements potentiels de la porcelaine, une matière considérée immuable à travers le temps.

Anaïs Castro est une commissaire indépendante et une critique d’art vivant à Montréal. Elle a obtenu son baccalauréat en histoire de l’art à l’université Concordia et une maitrise en histoire de l’art, commissariat et critique de l’art à l’université d’Édimbourg en Écosse. Elle a travaillé sur divers projets de commissariat en Écosse, en Italie et au Canada, notamment De la porcelaine à l’œuvre présenté chez Art Mûr et à la galerie Division à Toronto, À la frontière du monochrome et son projet le plus récent s’intitule Moving Still | Still Moving. Castro a publié dans plusieurs magazines spécialisés, incluant Line Magazine, esse arts + opinions et Espace. Depuis 2013, elle travaille comme l’adjointe à la direction de la galerie Art Mûr.