Conducts and fittings

  • Candice DAVIES
du 22 février au 12 juillet 2014

Au CIRCA, Candice Davies continue sa pratique artistique dont la tendance est à habiter l’espace de la galerie avec des objets du quotidien, dépouillés de leur valeur usuelle, et reproduits avec un soin exceptionnel dans la pierre, le plus traditionnel des matériaux sculpturaux. Compte tenu de la nature du matériau utilisé et de sa charge historique, l’intervention est étrangement légère; elle est en fait à peine perceptible. Son « projet spécial » opère par une sorte d’absence, pourtant tous les signifiants nous indiquent qu’on présente le travail d’un artiste : les lettrages muraux, ce texte explicatif, l’espace codifié de la galerie. Mais où sont les œuvres ?

Davies a sculpté, dans l’albâtre blanc, de nouvelles plaques pour les prises électriques visibles dans l’entrée principale de la galerie. Elle a également reproduit le câble BX qui longe ses plinthes ainsi que la boîte électrique. Habituellement dissimulé dans les constructions contemporaines, le système électrique est bien apparent dans la galerie, une ancienne manufacture de textile. À Montréal, ville nord-américaine aux infrastructures vieillissantes, il n’est pas rare de voir ce genre de transformation, assez courante dans les ateliers d’artistes. Souvent ces endroits ont été construits avant la venue de l’électricité domestique ou faits avec des murs volontairement temporaires où l’on ne se donnait pas la peine d’installer des câbles.

La pratique de l’artiste affirme la nature de l’objet d’art tout en la niant. Cette opération d’être deux choses à la fois crée une tension unique, d’ailleurs évoquée par Baudrillard avec sa notion de simulacre, dans laquelle une copie ou la reproduction devient une vérité en soi. Cependant, si son argument était que le sens est créé par la différence, à travers ce que quelque chose n’est pas, que se passe-t-il lorsque « ce qui est » ne peut pas être déterminé ? Comment peut-on s’imaginer son double ? Les plaques de Davies ne sont pas des photographies de plaques, mais de réelles plaques qui remplissent leur fonction de contenir l’électricité là où elle doit être contenue d’en protéger nos doigts, tout en étant des sculptures très finement réalisées. Cette posture incertaine, multiple ou ambivalente n’est pas une hyperréalité. Elle enclenche plutôt un nouveau questionnement sous un angle plus contemporain.

L’œuvre est prise entre l’idéal (déjà historique) de la dématérialisation de l’art et le courant actuel vers sa re-matérialisation. Ceci étant dit, l’idée de production artisanale présente dans l’œuvre et le choix du matériau utilisé révèlent leur rôle conceptuel. Même si le travail de Davies n’affirme pas être une base de connaissance, il est créateur d’un certain vide, d’une circonstance, d’une situation. Il est propice à l’expérimentation et non à la documentation, l’objet d’art répliqué apparaissant comme l’objet lui-même, étant ainsi inintelligible hors de son contexte d’exposition. L’œuvre remet l’espace d’exposition en question, reflète sa présence sur les lieux en camouflant son propre statut d’œuvre d’art, détournant l’illusion de vide et d’absence vers une expérience palpable. Cette simple action questionne l’autorité habituellement implicite de l’institution artistique en réduisant l’emphase portée sur l’objet, attirant plutôt l’attention sur le contexte de la galerie en tant que site muni d’aménagements électriques. Ce qui est particulièrement intéressant est que l’intervention commence dans l’espace transitionnel qu’est l’entrée de la galerie, reliant ensuite les transmissions électriques vers les autres espaces d’exposition. Cela suggère le caractère préparatoire de l’intervention – c’est d’où nous commençons. À noter également, cette critique de l’institution se loge dans un acte réparateur, l’artiste remplaçant les plaques de plastique brisées originales par ses plaques en marbre. Cette délicatesse  dans le geste et dans l’action montre que l’artiste n’est pas seulement consciente de sa connivence avec l’institution des sites d’exposition, avec leur valeur, leur mythe et leur vanité, mais qu’elle est prête à travailler fort pour eux. Elle s’implique totalement. Sa démarche n’est pas une observation effrontée ou un désir de défaire, mais un acte d’engagement direct dans la fabrication de l’art à travers ses histoires et ses intersubjectivités complexes.

Candice Davies a trouvé une méthode qui lui permet de faire la production de son œuvre tout en fonctionnant à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du système de production à la chaîne. Elle a créé sa propre situation de production, un espace subjectif de l’absence. Ceci est un endroit historiquement investi par le féminin, par le décoratif, et par l’idée.

Jake Moore

Traduction libre


Candice Davies détient un baccalauréat en arts visuels avec distinction de l’Université de York à Toronto. Elle complète en 2014 une maîtrise en sculpture à l’Université Concordia à Montréal. Elle est récipiendaire de la bourse d’études J.A. Bombardier octroyée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada ainsi que de la The Dale and Nick Tedeschi Studio Fellowship. Sa pratique engendre un questionnement sur les liens qu’entretiennent l’original et la réplique, sur le statut de l’objet d’art et sur la valeur de l’objet usuel quotidien. Elle a exposé au Canada et aux États-Unis, notamment à la Parisian Laundry, à la galerie FOFA, au Helen Day Art Center et à la galerie O’Born Contemporary. En 2014, elle est artiste en résidence au Vermont Studio Center, où elle a été récipiendaire du The Charles C. Curd Artist Residency.

Jake Moore est une artiste, commissaire et travailleuse culturelle vivant à Montréal. Elle détient un diplôme en design de la School of Crafts and Design au Sheridan College à Oakville en Ontario ainsi qu’un BA en Studio Arts, concentration en sculpture et un MFA en Fibre Arts (maîtrise en fibres textiles) de l’Université Concordia à Montréal. Elle a exposé à travers le Québec et le Canada, notamment lors d’expositions solos montréalaises à la Parisian Laundry, à la galerie FOFA et à Optica, puis lors d’expositions canadiennes à AXENÉO7 à Gatineau, à la Walter Phillips Gallery à Banff ainsi que de nombreuses autres à Winnipeg au Manitoba.