De l’écran à la pierre
- Andrée-Anne Carrier
-Galerie I-
De l’écran à la pierre
Les technologies numériques sont omniprésentes dans nos vies. Leur pouvoir d’attraction est vertigineux et leur influence perceptible dans plusieurs sphères de la société. Séduit par les nouvelles possibilités artistiques qu’elles offrent, un nombre grandissant d’artistes participe à la création de nouvelles formes de matérialité. La numérisation, la modélisation et l’impression 3D sont des modes de production répandus aujourd’hui. Comment leur utilisation affecte-t-elle et transforme-t-elle la pratique de la sculpture ? C’est cette interrogation qui se trouve à la source de l’exposition De l’écran à la pierre d’Andrée-Anne Carrier réunissant des œuvres sculpturales et installatives faisant allusion aux outils de fabrication appartenant à l’imagerie 3D. Faites à la main, les œuvres présentées ici exercent une fascination certaine qui s’apparente à celle des écrans.
Au sein de cette exposition qui enchevêtre les temporalités, Andrée-Anne Carrier s’est intéressée à faire apparaître les états transitoires employés lors du passage de l’écran à l’objet ou de l’objet à l’écran. D’abord, les fossiles numériques, comme elle les désigne, sont réalisés à partir de captures d’écran d’objets numérisés puis transposés sur les pierres d’un gris anthracite. Semblables à des images radiographiques, les empreintes à échelle réduite se présentent comme des témoins de notre temps, des spécimens de la culture écranique. La multiplication des écrans et le dispositif circulaire qui nous encercle rappellent leur présence dominante dans nos vies et leur développement accéléré. Lueurs fluorescentes, effets de transparence et d’opacité, de flottement et d’aplanissement, de superposition, de retournement et de rotation proposent des investigations variées sur le trompe-l’œil, la matérialité de l’écran et la lumière vive qui en émane.
Ensuite, les objets multiples au fini sablonneux évoquant des vestiges matériels laissés par des individus ou des sociétés humaines sont formés grâce à une technique de trempage et d’accumulation de sable en surface. Faisant écran à l’objet, ce processus d’effacement vient aplanir les caractéristiques propres à l’objet, les mettre à plat. Ce jeu entre la matérialité et la dématérialisation est particulièrement saisissant dans les structures en grille aux tons clairs et obscurs qui rappellent le maillage 3D ou encore dans La collection du technophile qui regroupe une sélection d’outils entourant l’artiste au quotidien dans l’atelier. Grâce à diverses stratégies déployées par l’artiste et au déplacement du corps dans l’espace, un phénomène optique se produit et fait apparaître et disparaître les reliefs, le volume. Selon un certain angle, les visiteurs et visiteuses sont amené•e•s à faire l’expérience illusoire du passage de la forme 3D à celle 2D.
Les notions d’écran, de lumière, de fluctuations numérique et physique, d’espace à deux ou trois dimensions définissent bien la nature des expérimentations matérielles qu’Andrée-Anne Carrier met en œuvre dans ce récent corpus. Par le biais d’une réflexion sur la pratique de la sculpture à l’ère du numérique, elle matérialise la façon dont les technologies numériques affectent nos perceptions en interrogeant les multiples facettes des outils numériques et les rapports qui s’établissent entre l’objet et l’écran dans leurs fructueuses interférences.
– Anne Philippon
Biographie de l’auteure
Détentrice d’une maîtrise en études des arts de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Anne Philippon est, depuis 2016, conservatrice adjointe à la Galerie de l’UQAM où elle assure la gestion de la Collection d’œuvres d’art de l’UQAM, coordonne la présentation des expositions et leur circulation ainsi que la production des publications. En tant que commissaire, elle a mené divers projets d’exposition, notamment à la Maison de la culture de Longueuil (Denis Rousseau, 2019), à EXPRESSION, Centre d’exposition de Saint-Hyacinthe (Karine Payette, 2017), à la Salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval (Nicolas Fleming et Sonia Haberstich, 2015) et à la Galerie de l’UQAM (expositions collectives, 2022, 2019 et 2013). Elle collabore de façon régulière à différentes publications portant sur divers sujets touchant les pratiques artistiques actuelles.
Biographie de l’artiste
Originaire de Joliette, Andrée-Anne Carrier vit et travaille à Montréal depuis 2009. Son travail sculptural met en intrigue et en dialogue des objets domestiques, provenant de la culture de masse, souvent génériques et reconnaissables : bibelots populaires, complices du quotidien, marqueurs du temps et rappels d’événements. Utilisant le moulage et d’autres techniques de fabrication comme procédés d’altération, sa pratique artistique devient un espace-laboratoire; un lieu où il est permis de perturber l’intégrité matérielle des choses, afin de déjouer les sens, questionner la matérialité et (re)visiter le sacré.
Carrier est diplômée de la maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’UQAM, au cours de laquelle elle a été récipiendaire de la bourse d’études supérieures du Canada Joseph-Armand-Bombardier (CRSH-2014). Son travail de sculpture a fait l’objet de plusieurs expositions collectives, notamment à CIRCA, Matérialité (2021) et Banlieue! Ordre et désordre (2015) à la Maison des arts de Laval. Sa présence à la Foire d’art contemporain de Saint-Lambert lui a valu le prix du jury : Bourse de la FAC 2016.
Les œuvres présentées dans cette exposition sont le résultat d’un travail de recherche et de création soutenu par une résidence au centre SAGAMIE et fait l’objet d’un appui du Conseil des Arts et des Lettres du Québec.
L’artiste remercie son partenaire Maxime Desroches pour son soutien constant, Annie Concecao-Rivest quant à l’échange des connaissances sur le plan des idées, Jules Lasalle pour son appui technique indispensable et de lui avoir généreusement ouvert les portes de son atelier une fois de plus, Anne Philippon pour son sens critique et son engagement dans l’écriture du texte d’exposition, Jean-François Gauthier de lui avoir transmis une part de son savoir-faire technique en numérisation et en modélisation 3D, Émilie Granjon pour avoir si bien ciblé les enjeux de sa démarche artistique à l’issue de leurs divers échanges, aux membres de l’équipe du Centre SAGAMIE pour leur soutien technique et leur ouverture à laisser entrer du plâtre dans leur bel atelier de résidence, ainsi que le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et le Conseil des arts de Montréal (CAM) pour le financement de la production et de la recherche matérialisée dans cette exposition.
Crédit photo: Jean-Michael Seminaro