Dédale

  • Caroline CLOUTIER
du 08 septembre au 13 octobre 2012

Vertige

En entrant, un grand cadre blanc, ovale, nous accueille sur le mur d’en face. Dans le cadre, une image, représentant une pièce, qu’on associe rapidement à la pièce dans laquelle nous nous trouvons : même luminosité, mêmes proportions. Une silhouette de jeune femme, vue de trois-quarts dos, pieds nus, y esquisse un pas gracieux vers une des sorties. La jeune femme porte une robe bleue, cintrée, dont la jupe ample accentue le mouvement.

Si on se retourne, on constate que le passage par lequel nous avons accédé à la pièce a été dupliqué, plusieurs fois. Cinq photographies, qu’on prendrait volontiers pour d’autres passages en tous points semblables à celui que nous avons emprunté, sont positionnées sur le pourtour de la pièce. L’illusion est quasi-parfaite. On se croirait au centre d’une pièce «trouée» de nombreux accès. La petite salle, confinée, devient le coeur d’un labyrinthe, dès que notre oeil se «fige». Toutefois, dès qu’on bouge, les distorsions apparaissent et la fiction spatiale dans laquelle notre oeil s’est évadé, l’espace d’un instant, s’évanouit.

Retour au grand cadre ovale et à l’énigmatique silhouette qui traverse l’image. On décode : c’est bien le mur d’en face qui figure dans cette photo. On saisit alors, mais ce n’est pas l’essentiel du propos, que cette image ovale est une photographie prise dans un miroir qui reflétait le mur opposé.
La topographie de l’illusion, minutieusement orchestrée par Caroline Cloutier, fournit une première fiction, qu’on reconnaît vite comme telle : il n’y a bien qu’une seule entrée dans cette pièce et toutes les autres «sorties» sont des simulacres, dont on admire, au passage, le haut degré de virtuosité technique. Cet espace, enrichi, complexifié, artificiel, sert de décor à une autre fiction, totalement décalée par rapport à la première et centrée autour de ce personnage de jeune femme dont la pose, le costume et la démarche suggèrent – dans une composition presque cinématographique – un mouvement irrésistible vers une des sorties. La jeune femme au visage dérobé, mystérieuse donc, mais candide et décidée, est saisie au moment où elle s’apprête, telle Alice, à passer de l’autre côté du miroir.

La trame narrative, souvent empreinte d’une candeur toute romantique, et le rendu technique, superbement investi et maîtrisé, sont les deux pôles autour desquels tourne la dramaturgie de prédilection de l’artiste. Celle-ci aime superposer les fictions et les enchaîner comme si elles étaient de simples phrases, raboutées les unes aux autres et formant un récit, formel, construit sur des hachures, des faux-semblants, une fausse familiarité, une prétendue circularité et, au bout du compte, de vrais courts-circuits. Souvent, chez elle, une certaine idée du féminin sert de support à un autre enchevêtrement de récits : la hanche rebondie, le regard langoureux (ici caché), la virevolte gracieuse, la «douceur» … autant de paradigmes évoqués, puis déjoués. La distance est bien ce qui marque la pratique de Caroline Cloutier. On ne sait plus à quelle enseigne la loger : une pratique expérientielle ? ingénument romantique ? dérisoirement l’une et l’autre ? ou, tout simplement, dans le porte-à-faux incessant qui marque une approche contemporaine du formalisme, ressourcé ici aux enseignements de la performance et de la photographie.

Quand j’ai rencontré l’artiste, un mot, tout simple, s’imposait dans la conversation pour décrire l’impression autour de laquelle s’était construite cette oeuvre : un «vertige». Comme celui qu’inspirent un dédale, un labyrinthe ou encore, croyons-nous, ce mouvement perpétuel qui caractérise les pratiques contemporaines les plus toniques, celles qui ne nous laissent, jamais, ni au repos ni repus.

France Gascon


Caroline Cloutier est originaire de Montréal où elle a obtenu un B.A en Arts visuels et médiatiques à l’UQAM en 2009. Elle a fait un premier solo en 2010 chez Action Art Actuel (Saint-jean-sur-Richelieu) dans le cadre de leur programme pour la relève. Depuis, elle a exposé son travail lors d’expositions collectives résultant de résidences de créations – notamment à l’Atelier Graff (Montréal) – et de collaborations avec des commissaires. En 2012 son travail a été présenté à la Maison de la culture Mont-Royal, à la Maison de la culture Côte-des-Neiges (Montréal) et au Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire lors de la 4ième Biennale de dessin. Elle explore la notion de paysage – intérieur et extérieur – pour évoquer différents rapports entre l’être et son environnement en se référant à la mémoire, au vécu et au sensible. Son travail aborde les thématiques de l’errance, de l’occupation de l’espace et de la disparition en imbriquant différents moyens: installation, photographie, documentation d’actions performatives et dessin.
L’artiste remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec (Bourse de la relève, bourse de déplacement, 2011-2012) ainsi que le Centre Sagamie (Alma) l’ayant soutenu dans l’élaboration de cette exposition par son programme de résidences de recherche et de production.

France Gascon est historienne de l’art et a occupé divers postes de responsabilité dans les musées et notamment au Musée d’art contemporain de Montréal, au Musée McCord ainsi qu’au Musée d’art de Joliette. Elle a à son actif plusieurs expositions et publications portant, principalement, sur l’art au Québec. Elle s’est aussi investie dans le champ de l’art public comme commissaire puis directrice au Musée d’art urbain et agit dans ce domaine à titre d’experte-conseil.

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