Derrière l’image

  • Suzanne ROUX
du 16 avril au 14 mai 2005

Derrière l’image ou la dissolution de l’immuable

Cʼest dʼabord de matière dont il sʼagit, laquelle sollicite la vue, à défaut de ne pouvoir toucher ce qui sʼoffre au regard. À la surface se dessine lʼimage, ce quʼelle laisse paraître et ce quʼelle recèle. Entre les deux et tout autour réside lʼespace, lequel sʼétend bien au-delà du visible pour englober le lieu physique, élargissant lʼexpérience à lʼéchelle du corps. Derrière lʼimage de Suzanne Roux nous introduit à cet état perceptif où sʼharmonisent le visuel et le physique. Toujours à la poursuite dʼun questionnement sur lʼambiguïté du réel, lʼartiste nous présente sept tableaux-objets qui allient la matière de lʼimage à la surface de verre qui la recouvre, suggérant ainsi lʼécart insoluble entre la réalité matérielle et lʼillusion quʼelle supporte.

La forme ovoïde se répercute à travers ces tableaux-objets sans pour autant faire figure de double. Cʼest plutôt en termes de frontières que ces supports aux contours irréguliers se proposent afin de circonscrire des fragments de réalités, tels des territoires métaphoriques.

Les formes qui en sont issues révèlent un univers inconnu et pourtant étrangement familier. Leur reconnaissance transite momentanément vers le nommable pour aussitôt résister à lʼappropriation, de sorte que le ici, apparemment immuable, se mue en un ailleurs instable et mouvant. À chaque image se superpose une lame de verre qui fait office de couverture, mais aussi de réceptacle et dʼécran. À la fois translucide et réfléchissant, ce verre impose un décalage virtuel entre le support et la surface de lʼobjet. Dans sa tentative de percevoir ce qui sʼexpose à lui, le regard se heurte à cette matière translucide qui lui projette simultanément la réalité quʼelle abrite et le lieu où elle se trouve. La surabondance des éléments visuels se prolonge subtilement dans la transmutation de lʼimage – des formes, des contours, des espaces qui la forgent. La transparence sʼopacifie, cédant le pas à lʼincertitude. Cette conviction de pouvoir saisir, ne serait-ce quʼun instant, la réalité qui sʼoffre à nous sʼeffrite alors, se dissipe. Oscillant entre la matérialisation physique et la dématérialisation illusoire, le processus de perception est inexorablement freiné, piégé par la dissolution du caractère immuable de lʼimage, seule évocatrice dʼune réalité plus globale. Dans ce mouvement perpétuel entre le tangible et lʼintangible, notre conception du réel se déconstruit, annihilant du même coup lʼappréhension de ce qui nous échappe.

La disposition spatiale des oeuvres commande le parcours physique et temporel du lieu et stimule lʼalternance visuelle entre la permanence de lʼimage et la fugacité du réel. Pour sa part, lʼenceinte de la salle affranchit le spectateur du monde extérieur, le confinant au coeur dʼune expérience dont il est partie prenante. Lors du parcours, le déplacement du corps occasionne la mouvance des repères et points de vue, intervenant à son gré dans lʼappropriation de lʼimage et du réel quʼelle sous-tend. Ce lieu, ces oeuvres, tout nous renvoie au réel, à ce quʼil évoque, mais aussi à ce quʼil dissimule à notre insu. Nʼest-ce pas ce dont il est question, de cette nécessité de donner un sens à ce que lʼon perçoit et pressent? De cette quête résulte ce jeu du chat et de la souris entre, dʼune part, le désir ardent de saisir un réel que lʼon croit possible et, dʼautre part, ce réel auquel on aspire et qui, par nature, nous file entre les doigts.

Kathleen Vézina


Suzanne Roux détient un Baccalauréat en arts plastiques de l’université Concordia et une Maîtrise en arts plastiques de l’université du Québec à Montréal. Elle enseigne passionnément les arts plastiques depuis 1988 au Cégep Lionel Groulx à Sainte -Thérèse. Elle a été récipiendaire de bourses de recherche et de création dont celle d’artiste en résidence au studio Cormier à Montréal.

Elle a réalisé plusieurs expositions individuelles à la Galerie Graff à Montréal et au Vieux-Palais de Saint-Jérôme (actuellement le Musée d’art contemporain des Laurentides) et de plus, elle a participé à de nombreuses expositions collectives.
Son travail a été aussi présenté à Chicago, Boston, Bâle, Kamloops et au Cent jours d’arts contemporains de Montréal (CIAC).

Elle a créé une dizaine d’oeuvres dans le cadre du programme d’Intégration des arts à l’architecture.

Ses oeuvres font partie des collections de Cooper Lybrand, du Musée National des Beaux-Arts du Québec, de la ville de Baie-Comeau, de la Bibliothèque centrale des Laurentides, de Loto-Québec et de différentes collections privées.

Kathleen Vézina détient une maîtrise en études des arts ainsi quʼune maîtrise en muséologie. Spécialisée en histoire de lʼart canadien, elle travaille à titre de commissaire dʼexposition et participe à des projets de recherche en milieu muséal. Elle enseigne aussi lʼhistoire de lʼart québécois et actuel au département des arts plastiques du Cégep Marie-Victorin.