Dispositif incertain: refuge ou prison?

  • Patrick BÉRUBÉ
du 14 octobre au 11 novembre 2006

Nous vivons dans un monde où nous sommes tous effrayés, où nous nous sentons seuls et la meilleure protection que nous ayons trouvé est de tenter de tout prévoir et de tout contrôler. Esclave de nos peurs, de nos incertitudes et de nos attentes, je questionne notre constante recherche de contrôle, de sécurité et de confort. Je crois que ce qui effraie le plus, ce n’est pas le présent et la réalité, mais bien ce qu’on imagine qu’ils cachent, ce qui vient après (l’anticipation). « Le fou peut s’habituer à son asile, le prisonnier à sa cellule, l’enfant martyre à son placard – et les regretter quand ils les quittent. » ¹

Partant de l’idée que tout visible peut comporter un côté « caché », l’installation que je propose est une oeuvre participative où le spectateur est physiquement amené à découvrir un lieu décomposé en différentes parties. À la fois irréel et matériel, l’aménagement offre au promeneur différents espaces et lui suggère de vraies et de fausses ouvertures. Cette fragmentation du lieu veut non seulement augmenter la surprise et l’inquiétude, mais également pointer les pièges qu’elle sous-tend. L’ambiguïté du lieu, où s’inscrivent les indices de l’oeuvre, permet de déjouer les attentes du spectateur.

Cette installation in situ joue à la fois sur l’éclatement physique des limites de la galerie et sur les limites psychologiques et physiques du visiteur. Au premier abord, on a l’impression d’une salle d’exposition vide, à l’exception d’un escalier qui pointe vers une porte surélevée et de la photographie d’un individu qui semble se cacher. D’emblée, l’espace peut paraître rassurant mais, il peut devenir très angoissant. Dès lors nous pouvons nous demander si ce lieu est habité par un individu qui se cache et s’isole pour fuir ou pour attaquer, ou encore s’il s’est échappé? Proie ou prédateur? Le dispositif pousse donc le spectateur à se laisser aller à sa curiosité et à gravir les marches pour découvrir ce qui se cache derrière cette fameuse porte.

Dispositif incertain: refuge ou prison? révèle autant qu’il dissimule; il protège, mais il isole également. Paradoxalement, cette aliénation permet de déclencher un désir ou un doute chez le spectateur et, par le fait même, de créer un manque. Cette installation agit donc symboliquement comme protection, mais emprisonne également. Par exemple, l’art peut être un refuge, mais comme tout refuge, peut devenir une prison.² C’est dire que j’essaie de recréer des expériences et des situations qui laissent peu de choix, de latitude et de possibilités d’agir ou de réagir ; des réalités plus ou moins maîtrisables, remplies de contradictions et de contrariétés. Le but est de susciter chez le spectateur des prises de conscience ; par exemple, de l’amener à interroger ses comportements et ses réactions face à une menace ou à une interdiction. Ce n’est pas l’innocence ou la candeur que je veux souligner, mais notre fragilité et notre incertitude face à diverses situations d’impuissances. Que ce soit par son côté tragique ou par son absurdité, cette installation est une perception du désir et de l’envie, et qui joue ainsi sur la déception et l’impuissance du spectateur. Celui-ci est donc prisonnier de ses propres anticipations et de ses attentes.

Dispositif incertain: refuge ou prison? comme plusieurs autres de mes oeuvres use de subterfuges et de recoins pour forcer l’appréhension d’un espace qui se découvre graduellement par détours. Bien que le dispositif semble offrir des ouvertures, les attentes demeurent frustrées et les réalités inaccessibles. Ce projet réside dans cette constante contradiction entre le palpable et l’immatériel, entre le saugrenu et le banal. »³

Patrick Bérubé

¹ Robert Merle (1999). Extrait de Madrapour. Seuil.
² Pierre Hebey (1997). Extrait de Deux amis de toujours. Gallimard.
³ Mary-Pierre Belzile (2006). Différents extraits tirés de «L’envers du cube blanc», Revue Esse – arts + opinions, no. 57, p.60-61.


Originaire du Bas-Saint-Laurent, Patrick Bérubé vit et travaille à Montréal. Sa pratique est essentiellement orientée vers l’installation et les interventions in situ. Recourant volontiers à la photographie et à la vidéo narrative, il aborde nos références quotidiennes pour en faire jaillir une dimension inquiétante et déstabilisante. Il recrée des expériences et des situations qui laissent peu de choix, de latitude, et de possibilités d’agir ou de réagir, des réalités plus ou moins maîtrisables, remplies de contradictions et de contrariétés. Détenteur d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques à l’UQAM (2005) il a présenté son travail lors de plusieurs expositions collectives dont les Convertibles, exposition présentée à Québec et à Montréal et la Manif d’art 3 (2005) où il a remporté le Prix du jury. Il a également réalisé plusieurs expositions individuelles, notamment à l’Oeil de Poisson à Québec (2006), au Centre d’art actuel Skol à Montréal (2005) et à la galerie Séquence, Chicoutimi (2005). Ses oeuvres seront bientôt présentées à la galerie Verticale à Laval (2007) et au Art Gallery of Alberta à Edmonton (2007).

Jouant sur l’envie et l’impuissance, Il interroge nos comportements et nos réactions face à différentes menaces ou interdictions. Capable d’abolir le plaisir autant que de le provoquer, il tente de déjouer les attentes pour en extraire une part d’angoisse ou de mystère. Le but est d’activer chez le spectateur une série de stimulations ponctuelles et de petites détresses (souvent) déroutantes. De la sorte, il entraîne les individus dans des mouvements circulaires, des allers et retours, des incertitudes ; des discontinuités qui déstabilisent et qui brisent la conception linéaire et habituelle du monde.

L’espace et le lieu sont très importants dans son travail, autant dans le processus de création que dans l’oeuvre elle-même. Capable de susciter des paradoxes et d’élaborer des ambiguïtés, l’intégration au lieu lui permet de franchir et de dépasser les limites fixées. Ses oeuvres s’offrent ainsi comme des espaces de résistance et de rupture comportant des normes et des conventions qui leur conférent parfois une dimension inattendue.

Article de Nicolas Mavrikakis dans Voir le 26 octobre 2006

Site internet de l’artiste