Drôleries

  • Dominic PAPILLON
du 22 février au 12 juillet 2014

Le travail sculptural de Dominic Papillon émerge de la jonction intime d’éléments plastiques hétérogènes. La forme et l’informe, la figuration et l’abstraction, le joli et le monstrueux, l’exubérance et la sobriété des lignes, les rendus brute et épuré sont couplés pour donner corps à la matière qui, sous les mains de l’artiste, se transmue en figures énigmatiques, à la fois attrayantes et troublantes. Autrement dit, c’est à partir de l’alliance de forces contraires et de l’abâtardissement des figures que son travail fait surgir une grâce inattendue hors de toutes normes et conventions, mettant en exergue le fait que la beauté n’est pas toujours là où on l’attend. C’est d’ailleurs avant tout pour séduire les sens et stimuler les affects du spectateur que Papillon façonne et donne vie à son univers sculptural. Sa volonté de « créer une imagerie aux contours sémantiques ambigus, d’une facture à la fois sensuelle et étrange » s’incarne dans un corpus d’œuvres davantage tournées vers les effets à produire que rattachées à des significations précises, prêtes à être décodées.

Le projet Drôleries s’inscrit certainement dans le prolongement des recherches plastiques de l’artiste. On reconnaît, d’une part, l’intérêt marqué de Papillon pour la forme traditionnelle de la sculpture, mais aussi, d’autre part, sa fascination pour l’art grotesque. Pratiquement toutes en ronde-bosse, ses œuvres rappellent (subtilement, mais assurément) les statues anciennes en ce qu’elles présentent des corps sculptés qui se déploient dans l’espace et que l’on gagne à examiner sous tous les angles. Chacune d’entre elles (ou presque) repose sur un socle, soit un élément longtemps incontournable pour la présentation des pièces sculptées, mais couramment banni de la sculpture moderne et contemporaine. Aussi, les techniques et les matériaux de prédilection de Papillon (le modelage, le moulage, l’assemblage, le plâtre, la céramique) se rapprochent du savoir-faire ancestral du médium. Toutefois, plutôt que de se tourner vers les canons classiques qui ont façonné pendant des siècles le visage de la sculpture occidentale, c’est à partir du champ de l’iconographie grotesque, beaucoup plus vaste et ouvert à toutes mues, qu’il tire son inspiration pour l’élaboration de ses figures. Le titre de l’exposition fait d’ailleurs écho aux enluminures qui ornaient les marges des manuscrits de l’époque médiévale et dans lesquelles on retrouve des créatures fantaisistes, loufoques et bizarres mélangeant souvent différents ordres (par exemple des figures mi-humaines, mi-animales ou mi-végétales).

Avec leurs relents baroques, rococo et surréalistes, les drôleries de Papillon se présentent comme un ensemble varié de curiosités. Un buste anonyme mauve foncé s’élance mystérieusement vers l’arrière, une créature monstrueuse informe rappelle par sa posture allongée la sculpture du Sphinx de Gizeh en Égypte, des volumes sphériques hautement texturés s’apparentent à des têtes sans visage, une paire de jambes renversée offre son entrecuisse au regard… Notons que malgré sa manière libre d’interpréter les formes, les sculptures de Papillon demeurent profondément rattachées au corps. C’est sans doute parce que c’est cette charpente organique qui nous relie indéniablement au monde et que c’est à partir d’elle que s’éveillent toutes les sensations. En somme, on peut dire que c’est le corps qui – pour son effet de présence, ses zones d’intensité et son pouvoir de métamorphose – sert de matière première à l’artiste.

Ariane de Blois


Né à Montréal, Dominic Papillon vit et travaille dans sa ville natale. Détenteur d’un baccalauréat en arts visuels et médiatiques (UQAM, 2006) et d’une maîtrise en sculpture (Concordia, 2009), sa pratique artistique évolue essentiellement autour de la sculpture et de l’installation. En 2009, il réalise Cheap Thrills, sa première exposition individuelle montréalaise à la Maison de la culture de Notre-Dame-de-Grâce. Parmi ses expositions collectives, mentionnons Collision V à la Parisian Laundry (Montréal, 2009) ainsi que Nostalgie du Présent au centre d’art actuel Circa (Montréal, 2010). Dominic Papillon est récipiendaire de plusieurs bourses dont la bourse d’excellence Jacques de Tonnancour (UQAM), la bourse Dale and Nick Tedeschi Studio Arts Fellowship (Concordia), la J.A. DeSève Entrance Award (Concordia) en plus d’être appuyé par le Conseil des arts et des lettres du Québec. L’exposition Drôleries est la cinquième exposition individuelle de l’artiste, et sa première à Montréal depuis 2009.

Historienne de l’art, Ariane De Blois enseigne au Collège de Rosemont et termine une thèse de doctorat à l’Université McGill sur les sculptures grotesques mi-humaines, mi-animales en art contemporain. Elle a agi à titre de commissaire pour l’exposition Et si les robots mangeaient des pommes? présentée à la Maison des arts de Laval (2013-2014), et de co-commissaire pour les expositions Rejouer/Déjouer le folklore : Suisse –Québec, présentée à la Maison de la culture Frontenac et à la Stadtgalerie de Berne (2012), Instantes : Adad Hannah, présentée au Centro Nacional de las Artes à Mexico (2012), La Mécanique de l’objet, présentée entre autres au Centre Raymond-Lasnier de Trois-Rivières (2011-12) et Faire semblant/Fake it!, présentée au Studio XX (2010). Ses textes ont notamment été publiés dans les revues Esse, Etc. et dans le catalogue du Musée d’art de Joliette où elle siège sur le conseil d’administration.