Dwellings

  • Laura ST-PIERRE
du 13 janvier au 10 février 2007

Le cercle des perdants

Le travail de Laura St.Pierre tente de créer un certain ordre dans les déchets d’une culture qui s’acharne à transformer la planète en un gigantesque dépotoir. Son objectif consiste en quelque sorte à dompter la bête hypertrophiée de la consommation domestique et, ce faisant, à trouver une utilisation au gaspillage. Son travail rassemble les rebuts, le laissé-pour-compte et les objets usagés. Utilisant des tropes modernistes tirés de l’abstraction formaliste, St.Pierre donne à son cercle de perdants une seconde chance. Contrairement à l’urinoir présenté en 1917 par Duchamp comme une oeuvre d’art, les objets de St.Pierre ne sont plus identifiés à leur usage original: ce sont clairement des rebuts.
Il importe cependant de noter que ces choses, ces objets, n’ont pas été élevés au statut d’oeuvre d’art mais au contraire et tout simplement, à celui de matériaux d’artiste.
Laura St.Pierre remplace le tube de peinture par un savonnier jeté aux ordures et le plâtre de Paris par une table cassée. Mais, même en ce faisant, elle demeure une artiste dans le sens traditionnel du mot, posant les mêmes interrogations que Picasso durant sa période cubiste alors qu’il mélangeait ensemble papier-journal, bois et autres objets trouvés.
Vous devez vous imaginer l’artiste tenant une palette remplie d’ordures dans lesquelles elle trempe son pinceau et le charge d’un mélange de contenants de plastique, de meubles cassés et de restants de gallons de peinture. En sa qualité de membre de la société, l’artiste établit son droit à la critique; la transformation de ses matériaux peut représenter pour elle une forme de coprophagie créative – et qui consomme créativement ses propres excréments.

Laura St.Pierre explore une frontière entre la culpabilité morale issue de réelles maladies de notre société et le privilège intellectuel de ceux qui ont le temps de s’interroger sur l’incidence du rouge touchant au bleu. Il est par exemple peu probable qu’un mécène de l’art ait jamais à s’inquiéter d’avoir un toît au dessus de sa tête.

Ses oeuvres nous avertissent de la menace imminente tapie sous les couleurs vives des bouteilles de détergents jetées aux ordures. Certaines de ses formes hybrides rappellent ces habitations construites de bric et de broc dans des ruelles ou encore ces immeubles négligés construits le long des autoroutes et des voies de chemin-de-fer. Mais, il y a également un élément d’espoir qui est latent dans cette énigme, tel celui que l’on peut percevoir dans le Projet de véhicule pour sans-foyer de Kristof Wodiczko en 1990 qui avait inventé une nouvelle forme de logement inspiré d’un chariot de super-marché et qui pouvait donc être facilement déplacé à travers la ville.

L’art peut-il nous sauver? Le travail exposé ici offre un moment de réflexion pour méditer sur l’utilité que peuvent avoir les rebuts – si jamais ils en ont une. Laura St.Pierre pose des questions sur l’essentiel de la survie: logement, nourriture, eau. Cependant, son “esthétisation” des débris est une ruse. Alors que nous percevons ces accumulations comme des oeuvres d’art et que nous en apprécions la matérialité, il demeure qu’il y a toujours un sentiment d’urgence qui se dissimule sous la surface.
Si le système production/consommation ne fonctionne pas, alors, comment pouvons nous le changer?
Quelle que soit la réponse et tout en regardant ces nouvelles oeuvres, je pourrais parodier ici les Rolling Stones:

Oh, un orage menace
Ma vie aujourd’hui
Si je ne trouve pas de refuge
Oh oui, je vais disparaître

Randall Anderson

Traduction
Maurice Achard


Originaire des Prairies, Laura St.Pierre vit et travaille à Montréal. Elle a participé à de nombreuses expositions collectives présentées à travers le Canada parmi lesquelles Abstraction au Diaz Contemporary de Toronto et Spell, une exposition itinérante mise sur pied par la Mendel Art Gallery de Saskatoon. Parmi ses récentes expositions individuelles, soulignons THIS END UP à Articule en 2006.

Son travail a été couvert par le Globe and Mail et le Border Crossings Magazine et elle est récipiendaire de nombreuses bourses et subventions incluant des bourses de projet du Conseil des arts et des lettres du Québec et de l’Alberta Foundation for the Arts.

Elle a récemment complété une Maîtrise en Beaux-Arts (MFA) à l’Université Concordia (2006) et prépare actuellement une collaboration avec le peintre Harold Klunder à la Durham Art Gallery de Durham en Ontario.

L’artiste tient à remercier le Conseil des arts et des lettres du Québec pour son appui.

Article de Tai Van Toorn dans Espace Sculpture, #80, 2007

Portfolio de l’artiste