Engin et Art : Se protéger des intempéries
- Caroline Fillion
Galerie II
Question de cadrer avec l’ambiance proposée par l’œuvre de Fillion, prenez cette lecture comme un missel, comme un livre de messe, et entrez dans ces lignes comme dans une liturgie ou, tout simplement, de la même manière que l’on se compte une histoire ou que l’on se rend à une exposition.
Tu as porté celle qui porte tout,
L’art en ton sein a pris chair,
Porte du ciel, Reine de l’univers,
Ô Aura, nous te saluons!
Acclamé par les théories des anciens astronautes, l’art proviendrait des cieux, domaine des extraterrestres. L’aura, elle est ce qui rend un objet œuvre d’art, à défaut de simple marchandise, évitant une simple logique économique et de plus-value. Après, la division divine et profane, ésotérique et exotérique, se rejoue à chaque pas que vous faites dans l’exposition : tu comprends la référence à ces architectures?
Vous avez peut-être remarqué des explosions : des confettis en suspendent, une forme de barillet, d’étrange urne, des tombeaux, des soucoupes volantes, des débris et des œuvres. Fillion fait fête de tout confetti de l’inversion du monde, d’une apocalypse. Entre apocalypse et confettis, comme pour suggérer l’arrêt de cette liturgie, l’arrêt d’un monde. Par ça, l’artiste sépare un espace qui, au premier regard, serait indivisible, celui de l’initié et du profane, celui du divin et du mortel, celui du génie intérieur et du démon assis sur votre épaule. Cette séparation se fait par un choc, par une rupture, une bombe, une déflagration, une destruction, puis les confettis. La scène devient transfigurée et l’on y voit dès lors deux choses : l’une horizontale et l’autre verticale. L’horizontale nous transperce, nous atteint, nous affecte – vise les viscères et serre à la gorge. L’autre, verticale, nous évite, nous fuit, nous abstrait – vise l’encéphale et donne le vertige. La chose, maintenant dédoublée, n’est plus qu’uniquement matérielle, mais aussi devenue icône, archétype, auratique – la galerie Hamburger Bahnhof par exemple. À la fois si proche et si loin, suivant cette pluie de confettis, l’éclatement survient peut-être en vous : rire ou pleurer ?
Il est dit que l’annonciation prendra forme tels des signes dans les cieux, à décrypter telle une expérience esthétique. Annonciation comme métaphore pour un changement profond, comme tabula rasa. Un signe dans le ciel, ce peut être un OVNI, un ornithoptère fabuleux ou encore un haut brasier prenant comme origine un musée. On utilise souvent l’idée d’un ailleurs fabuleux et effrayant pour nous convier à un changement et, du même coup, adresser l’inadressable, ce qui ressemble à ceci dans ma tête :
« Le sacré est une chose qui vole et lévite très loin, inatteignable. Non non, le sacré est une chose qui s’érige verticalement et engendre ce monde tel un hôte, par éclair, par génie. Non, le sacré est une chose qui est en nous, mais qui se recroqueville au premier regard, évitant le face-à-face ou l’argumentaire. Ben non, ben non, ben non, aveuglant, le sacré n’est peut-être même pas une chose, osti non, non, non, même pas une chose ! »
Enfin, après l’exposition, il serait proposé de fixer une quelconque institution et, comme par impression rétinienne, de revivre ce que vous venez de regarder. Sacré party, hein ?
Texte de Stvn girard
Biographie de l’auteur
Stvn girard (né Steven Girard) est artiste-chercheur, stratège, escamoteur et théoricien. Il a présenté plusieurs de ses propositions esthétiques, notamment au Cameroun, en Irlande du Nord, en France, aux États-Unis, au Mexique, en Argentine, en Inde et au Canada. Il collabore régulièrement au sein de périodiques culturels notamment les magazines Inter, art actuel et Vie des arts. Diplômé d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal, l’intitulé de son mémoire est Déprise de soi : opacité offensive en performance comme mise en cause de l’être et de sa visibilité. Il étudie présentement au doctorat en arts visuels, droit et sciences sociales à l’Université Laval. Ses domaines de recherches sont l’anonymat, l’invisibilisation, l’hommage, la hantise et la propriété intellectuelle.
Biographie de l’artiste
Artiste multidisciplinaire, Caroline Fillion est originaire de Saguenay. Sa pratique conceptuelle repose sur des conjonctions symboliques ou des métaphores questionnant, détournant ou transgressant les postulats traditionnels du milieu de l’art. Une réflexion tempérée, dans un absurde sérieux, sur les méthodes de légitimation de l’art à travers ses institutions et sur le rapport entre l’œuvre, l’artiste et le commentaire qui les précède.
Fillion est titulaire d’une maîtrise en arts visuels de l’Université du Québec à Chicoutimi, d’un diplôme d’études supérieures en gestion des organismes culturels de HEC Montréal et d’un baccalauréat en arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec à Montréal. Boursière au Conseil des arts du Canada et au Conseil des arts et des lettres du Québec, elle a participé à plusieurs expositions régionales, nationales et internationales.
Remerciements
Très heureuse de présenter l’exposition Engin et Art : se protéger des intempéries, je tiens à remercier spécialement CIRCA art actuel pour cette merveilleuse opportunité de diffusion, l’auteur Stvn girard pour son écriture transformant divinement les images en mots, mon partenaire et amoureux Sébastien Kirouac pour son support technique et son pouvoir magique me donnant force, le caméraman et ami Gabriel Fortin pour sa précieuse complicité, le centre de production en art actuel TOUTTOUT pour leur appui au quotidien dans ma production grâce à l’accès à un merveilleux atelier individuel, l’équipe du centre SAGAMIE pour leur collaboration dans le cadre de CO-LAB, La bande Sonimage pour leur confiance en m’accordant une bourse de soutien à la création ainsi que toutes les personnes ayant contribué de près ou de loin à la réalisation de ce projet d’exposition. De plus, je tiens à remercier le Conseil des arts du Canada dans le cadre d’une bourse du concept à la réalisation et d’une bourse de recherche/création et le Conseil des arts et des lettres du Québec/MRC Saguenay dans le cadre d’une bourse de l’entente de Partenariat territorial qui, grâce à leur généreux financement, me permet d’attacher l’intelligible au réel. Merci.