Fixations

  • Paméla LANDRY
du 23 octobre au 20 novembre 2010

La séquence des marionnettes des Quatre cents coups, cet hymne magnifique de François Truffaut à l’innocence perdue, est une des scènes les plus parfaites et les plus parfaitement charmantes du cinéma, qui résume de la manière la plus simple les thématiques abordées dans le film. Installée sur la scène d’un véritable spectacle de marionnettes, mais tournée vers le public, la caméra oppose l’engouement des enfants, absorbés par le drame qui se joue devant eux, à l’attention distraite du protagoniste, le malheureux jeune Doinel, occupé à manigancer un larcin qu’il envisage de commettre plus tard dans la journée. Ici, l’apprentissage est considéré comme une crise de la vision, un conflit entre la fascination et la distraction, entre l’être et la conscience. La chute définitive de Doinel n’est pas due au crime qu’il se prépare à commettre, ni aux diverses mésaventures relatées dans la trame du film, mais au fait qu’il est devenu un sujet qui pense avant d’agir. Son incapacité à s’abandonner au spectacle, comme le font les enfants, témoigne de son passage de l’enfance, et d’une façon d’être dans ce monde qui est directe et immédiate, à une étape de la vie et un état d’être qui le divisent et l’isolent.

(…)

Fixations, installation sculpturale récente de Paméla Landry, est conçue pour le visiteur distrait. Envisageant la possibilité d’un spectateur ayant la capacité de s’abandonner à la magie des marionnettes, l’oeuvre se veut réparatrice, employant le spectacle comme moyen pour restaurer un état de grâce, du moins temporairement. En effet, à première vue, l’installation fait penser à un cirque ambulant, petite foire de curiosités mécaniques. Les Îlots – I, II et III –, structures en Lycra dont se compose la pièce et qui ressemblent à des tentes, sont de couleur orange vif, écarlate et vert lime, vermeille, turquoise et vert menthe, ou encore bleu roi et magenta, et les dispositifs mécaniques qui font leur « numéro » à l’intérieur vibrent, virevoltent et scintillent comme des danseuses sur une scène de burlesque. De plus près toutefois, si l’on regarde par le hublot de la cloison avant, ces divertissements semblent plus propices à la détente qu’à l’excitation. Les distractions à l’intérieur sont de simples jouets mécaniques – de minuscules moteurs animant des dispositifs en bois lisse qui font se trémousser des gobelets en plastique ou tourner des billes. Dans la plus spectaculaire de ces manifestations, un mécanisme fait tourner une petite boule miroir, projetant ainsi sur les surfaces intérieures de la tente un jeu de lumières en miniature.

(…)

Si l’oeuvre réconforte sous forme d’expérience sensorielle simple et clairement focalisée, elle rend également impératif pour son accomplissement l’engagement physique, et les moyens d’inclusion du sujet spectateur revêtent ici une importance capitale. Encadré comme une image dans ce hublot, le spectateur devient l’objet de spectacle de la machine. Idéalement, ce que voit la machine est un sujet/objet donné tout entier à la fascination, en harmonie avec le monde et retrouvant – du moins temporairement – un état de grâce.

Cheryl Simon, juin 2010

Extraits tirés du livre
Matières à spéculation : les Fixations de Paméla Landry
(Subjects of Speculation: Pamela Landry’s Fixations)


Depuis quelques années Paméla Landry développe des machines à investissement d’affects. À partir d’un répertoire de stéréotypies issu de l’étude du comportement de personnes vulnérables, autistes ou des obsessifs-compulsifs, elle fabrique des dispositifs qui en empruntent des caractéristiques. Que ce soit par des mouvements répétés ou une gestuelle singulière, la vue de ces ilots nous interpelle dans un effet calmant et apaisant. Ainsi transfère-t-elle à ses machines la capacité de soignante et d’aidante qu’on associe au caractère féminin. Paméla Landry vit et travaille à Montréal. Son travail a été présenté dans des expositions collectives et individuelles au Canada et en Europe. Elle vient de terminer la résidence du Conseil des arts du Canada, à Londres. 

Cheryl Simon est critique, commissaire et professeure. Ses intérêts dans le domaine de l’art et de la recherche s’étendent notamment aux expériences sur le temps dans les arts médiatiques, aux pratiques de collectionnement et d’archivage dans les arts visuels et aux aspects sociaux de la technologie. Ses écrits sur le cinéma, la photographie et l’installation sont parus dans nombre de revues, de monographies et de catalogues d’artistes, au Canada comme à l’étranger. Elle anime présentement à Montréal des séminaires sur la théorie critique et l’analyse culturelle dans le cadre du programme de maîtrise en arts plastiques de l’Université Concordia, et sur la théorie cinématographique au département de cinéma, de vidéo et de communications du collège Dawson.

Site internet de l’artiste