Greffe-moi une fleur

Vernissage le mercredi 5 juillet 2017 à 17h
  • Cynthia Dinan-Mitchell
du 5 juillet au 9 septembre 2017

Voilà un titre d’exposition bien étrange! Comment devons-nous consentir à le lire? Certes, la demande qu’il contient peut sembler embarrassante. Si on la considère dans son sens littéral, elle nous apparaîtra inévitablement déraisonnable. Il appert peu probable que quelqu’un puisse réellement demander qu’on lui greffe une fleur. Pourtant, le milieu de l’art a déjà connu de telles tentatives, que ce soit celle de l’artiste tchèque Petr Stembera, qui, au milieu des années 1970, se greffait une fleur sur un bras dans son œuvre performative Štěpování ou encore celle de l’artiste chinois Yang Zhichao qui se faisait implanter deux plans d’herbe près de l’épaule droite pour sa performance Planting Grass en 2000. Malgré ces antécédents, quelque chose nous pousse à entendre ce titre autrement. Peut-être vaudrait-il mieux ignorer l’exigence qu’il contient et se concentrer sur sa forme, sa formulation, ses résonances. Il semble faire écho à une célèbre demande littéraire. Alors que certains commandent qu’on leur dessine un mouton, d’autres seraient plus enclins à demander qu’on leur greffe une fleur. Conséquemment, le titre nous apparaîtrait non plus comme une demande insensée, mais plutôt comme l’activation d’un mode de création.

De fait, on se limite probablement trop à penser la notion de greffe uniquement dans ses relations avec les domaines de la médecine ou de la botanique. Si on la concevait comme un modèle conceptuel, il serait indéniablement possible d’y entrapercevoir les assises d’une réelle poïétique. Celle-ci engloberait les différentes modalités permettant de rapprocher des choses de même ou de différentes natures, les multiples formes de fusions et d’amalgames d’objets et d’images, ainsi que toutes les variantes de la pratique du collage. S’éclairerait alors, sous un jour nouveau, l’ensemble des œuvres composites. Plus qu’un éloge des pratiques de métissage, ce serait à une célébration de l’hybridation at large, pour reprendre une mémorable formule de René Payant, à laquelle nous serions dès lors convoqués.

Le travail de Cynthia Dinan-Mitchell s’organise depuis longtemps autour de ces rencontres inusitées de formes et d’objets provenant de sphères culturelles différentes. Elle a expérimenté de nombreuses façons de jumeler des motifs iconographiques hétéroclites ou encore des pratiques artistiques disparates. Dans sa recherche récente, les rapprochements s’opèrent entre des plantes dessinées, des plantes vivantes et des plantes en céramique, donnant corps à des spécimens nouveaux, croisement entre la plante d’intérieur et les bimbeloteries décoratives. Nous l’aurons compris, il ne s’agit pas simplement d’illustrer le processus de la greffe en en produisant différentes représentations décoratives, mais de traduire, sous une forme artistique et mimétique, le fonctionnement de la bouture ou de l’aboutement.

Le travail de mise en exposition explore également le concept de greffe, en faisant cohabiter dans l’espace des éléments simulant une expérimentation scientifique (boitiers de plexiglas, lampes de croissance, vidéo de documentation) et d’autres une exposition artistique (papiers peints, objets en céramique, œuvre graphique de grande dimension). Au-delà de l’effet d’étrangeté qui se dégage de cette hybridation, Greffe-moi une fleur reconduit le questionnement de Cynthia Dinan-Mitchell sur les exhibitions d’ensembles décoratifs, tout en lui permettant de revisiter une de ses préoccupations récurrentes, soit les rapports que l’art entretient avec la nature.

-Texte de Pierre Rannou


Titulaire d’un baccalauréat en arts visuels de l’Université Concordia en 2002 ainsi que d’une maîtrise en arts visuels de l’Université Laval en 2007, Cynthia Dinan-Mitchell a présenté son travail dans de nombreuses galeries et centre d’artistes au Québec et au Canada. L’an dernier, dans le cadre du festival d’art de Cupar en Écosse, elle a été invitée à faire une énorme installation in situ dans une ancienne cour de justice. Cette année, elle exposera au CIRCA art actuel à Montréal, à l’Atelier Circulaire à Montréal, à Open Studio à Toronto et lors de la Manif d’art 8 de Québec. Représentée par la Galerie D’Este, elle vit et travaille à Québec.

 

Historien de l’art et critique, Pierre Rannou agit également à titre de commissaire d’exposition. Parmi ses dernières réalisations, on retrouve Transmission à Plein sud, Centre d’exposition en art actuel à Longueuil (2017), Michel Lamothe. Fréquenter le paysage à Plein sud, Centre d’exposition en art actuel à Longueuil (2013) et Expression, Centre d’exposition de Saint-Hyacinthe (2013), Connotations actuelles : regards sur notre diversité au Musée des maîtres et artisans du Québec à Montréal (2013), Carolina Hernández-Hernández. Aux derniers battements d’ailes à l’Espacio México Montréal (2012). Il a publié quelques essais, participé à des ouvrages collectifs, rédigé plusieurs opuscules d’exposition et collaboré à différentes revues. Il enseigne au département d’histoire de l’art et au département de cinéma et communication du cégep Édouard-Montpetit.

 

Lisez l’article intitulé « LA BELLE SAISON AU BELGO ENTRE QUATRE EXPOSITIONS ET HUIT SITUATIONS » par Jean-Michel Quirion pour la revue Ex_Situ.