INTERMONDE

  • Geneviève Roy
18 mars au 22 avril 2023

Galerie II

 

Dans l’exposition «Intermonde», Geneviève Roy propose un environnement ancré dans l’exploration des espaces physiques et psychiques. Ses recherches tirent profit de son parcours en tant qu’architecte – une profession qu’elle a exercée en première carrière –, mais aussi d’une forme de quête identitaire l’ayant menée à sonder son rapport affectif aux lieux de son histoire. Agissant comme catalyseur d’une démarche déjà en gestation, un retour dans la maison de son enfance, au plus fort du confinement de 2020, déclenche une réflexion sur l’espace construit et la mémoire. Face au rétrécissement de la vie sociale, l’artiste imagine des dispositifs qui font écho à une soudaine descente en soi, exploitant la dualité du dedans et du dehors, du caché et du dévoilé, par des jeux de points de vue à l’attention du spectateur.

Dans la salle d’exposition, l’occupation de l’espace met d’emblée en lumière cette articulation intérieur/extérieur grâce à l’imposante structure de bois que l’artiste nomme « pièce-vaisseau ». En relation avec le volume de la galerie, cette pièce forme un contenant qui active les photographies murales en tant que périphérie, sortes d’environnements externes. Ces investigations photographiques sont issues d’un premier jet du corpus d’Intermonde, où la captation sur des chantiers (notamment ceux de la carrière Francon et de l’esplanade Clark) donnait lieu à des images énigmatiques, distanciées de la fonction documentaire de la photographie au profit d’évocations polysémiques. Ici, il s’agit plutôt de photomontages, où plusieurs couches de ces images de chantier forment des paysages construits. Il serait tentant d’utiliser l’adjectif « irréels », mais dans la démarche de Geneviève Roy, les espaces représentés ne se distinguent pas par leur appartenance ou non au champ du réel. Ses travaux, inspirés par la psychanalyse, suggèrent plutôt que les images issues de souvenirs flous ou même de l’imagination appartiennent à une forme de réalité psychique aussi vraie que la réalité physique.

Tout autour de la « pièce-vaisseau », plusieurs trouées attirent le regard vers l’intérieur. Il y a là des items suggérant la vie de Roy, son travail artistique (bureau, carnets, croquis, etc.) et ses liens affectifs à certains objets-souvenirs, dont nous ne pouvons entièrement saisir la teneur. Qu’importe, l’ensemble suggère plutôt une conception particulière de l’espace domestique, exacerbée en 2020, et résumée par le continuum « vivre-travailler-créer-rêver ». En effet, l’artiste a l’habitude de ne pas avoir d’atelier distinct, préférant organiser l’ensemble de ses activités dans un espace de vie aux fonctions multiples, mais unifiées. Ce rapport incarné aux lieux soutient « l’immeuble-appartement », une construction imbriquée en gigogne au sein de la « pièce-vaisseau », telle une boîte dans une boîte. On y retrouve, en cinq stations ou étages, des endroits marquants pour Roy, reconstruits sous forme de maquettes ou de dioramas de différentes échelles, angles et confections, selon des souvenirs datant parfois de nombreuses années. À partir de points de vue dirigés par l’emplacement et l’orientation des ouvertures, l’artiste offre une plongée simultanément retenue et voyeuse dans des territoires intimes et foisonnants, où s’opère une narration par fragments. Les associations libres entre les objets, des moments de la biographie (un séjour universitaire en France, le décès du père, un rêve d’enfant) et les déformations de la mémoire s’entremêlent.

Malgré l’aspect autocentré de la quête qui sous-tend le corpus d’Intermonde, Geneviève Roy propose une réflexion sur les mécanismes de la psyché au-delà de sa propre histoire. Celle-ci est le point de départ d’un travail formel où la représentation de l’espace échappe au cadre normatif de l’architecture et expose qu’elle n’est jamais neutre, perpétuellement transformée par la subjectivité de l’expérience.

– Extrait de texte de Marie-Pier Bocquet

 

Bio de l’auteure

Autrice et historienne de l’art, Marie-Pier Bocquet détient une maîtrise en histoire de l’art obtenue à l’Université du Québec à Montréal (2020). Elle est également directrice générale et artistique d’Arprim, centre d’essai en art imprimé. Depuis 2014, elle fait partie du comité éditorial de la revue de dessin HB. Elle a été commissaire des expositions Perspectives excentrées à Zocalo, centre d’artistes (2021), Faire monde : regard sur les microcosmes de Catherine Magnan et d’Andréanne Gagnon, au centre d’artistes Caravansérail en 2014, et co-commissaire de l’exposition HB nº 6 / HORS PAGE, présentée au Centre d’art et de diffusion CLARK en 2017. Ses textes ont été publiés dans les revues Esse arts + opinionsEspace art actuel et Vie des arts, ainsi que dans les opuscules de la galerie Art Mûr, de la Galerie Nicolas Robert, du Centre d’art et de diffusion CLARK et du CIRCA art actuel.

 

Bio de l’artiste

Originaire de Québec, Geneviève Roy vit et travaille à Montréal. Parallèlement à une formation d’architecte suivie à l’Université Laval (Québec), elle détient un baccalauréat en arts plastiques de l’Université Concordia (Montréal). Ayant exercé le métier d’architecte pendant deux décennies, elle effectue un passage de l’architecture à l’art en 2010. Dans le cadre d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques (UQAM) en voie d’être complétée, l’artiste poursuit ses recherches sur l’environnement bâti, en questionnant les enjeux de l’espace physique et psychique de lieux domestiques et urbains choisis pour leur valeur symbolique. Par une approche de l’installation photographique, elle tente de capter et traduire les liens complexes reliant l’espace intérieur de la pensée et de l’affectivité au monde extérieur – architectural, familial et social – qui façonne notre existence. Boursière du Conseil des arts du Canada, ses œuvres ont fait l’objet d’expositions solos et collectives à Montréal, à Québec, à Lyon, à Winnipeg et à New York.

 

Remerciement

L’artiste remercie chaleureusement toutes les personnes ayant contribué à la réalisation du projet, et en particulier Anne-Marie Ninacs, Chloé Thériault, Nicolas Mikhnovitch, Émile et Ange, ainsi que CIRCA art actuel.