KLOMP
- Paryse MARTIN
Les œuvres de Paryse Martin épousent toutes, à divers niveaux, des formes caractérisées par l’opulence. Rompues à l’esprit baroque, elles étirent l’espace, courbent la matière, évoquent un mouvement que l’on qualifiera volontiers d’organique. Elles risquent en cela la dissolution entre divers genres, la provocation d’un jugement préférant l’ordre aux bouleversements et la quiétude à la pagaille. Pourtant, pour touffues semblent-elles être, elles proposent l’élaboration d’une pensée complexe visant une réorganisation hétérogène d’univers donnés. En cela l’artiste réorganise la matière et recourt à l’ornementation comme dispositif de séduction, se distançant de façon admirable des jugements taxant de superficielles les productions apparentées à ces axes de pensée. Ces œuvres sont pour ainsi dire chargées. Dans la foulée, les pièces réunies sous le titre tapageur de Klomp – mot hollandais désignant à la fois le bruit des sabots sur le sol et la boule ‑, s’alignent sur les termes d’un choc des matières dont l’onde se propage dans la distance. Ces œuvres, comme les précédentes, ne font pas l’économie d’une complexité prenant racine dans les leçons de la science, de la littérature, et de l’expérience propre de l’artiste.
Le cheval et la boule sont les deux motifs immédiatement reconnaissables dans la vaste salle de Circa. Or, Frison, le cheval, et Les parterres portatifs, partagent une technique que l’artiste avait utilisée pour L’Univers chiffonné (2005), une table-paysage récemment acquise par le Musée national des beaux-arts du Québec. Ces œuvres présentent des entrelacs de carton ondulé, présentant de légères saillies de façon à former des paysages complexes. Avec leur fouillis apparent, rendu par la multiplication des volutes de carton, ces œuvres s’intéressent à la représentation d’une complexité invisible du monde, semblable à celle que Van Gogh a pu livrer à travers la facture faite de motifs circulaires de son tableau La nuit étoilée – Saint-Rémy, juin 1889, captivé également par le rendu de la réalité physique du monde et par celui des mystères naturels. Aussi ces œuvres donnent-elles un aperçu troublant des mouvements cycliques non finis, à travers un système dynamique aux possibilités inépuisables.
L’artiste fait remarquer dans ses notes de travail qu’elle cherche à même ces pliages et ces courbures, à mettre en jeu une anarchie des frontières, elle qui s’enthousiasme à fréquenter la théorie des turbulences. Visiblement, des zones mieux organisées se présentent, des motifs s’articulent, des mouvements se composent. Mais on sent davantage la pression de la matière pauvre, le carton, qui cherche à s’organiser et à se maintenir dans de perpétuels dérangements, compressé autour de cette sphère compacte, dans un écho aux théories de la physique moderne, à la dynamique des particules telle que formulée par la théorie du chaos. Les parterres portatifs incarne sur une surface limitée l’idée d’une contraction d’un espace infini, recouvrant de ce fait une sensibilité baroque considérée d’un point de vue très actuel.
Sans aucun doute, cette conception a mené à la création des œuvres Le récit lacrymogène et L’œil enchâssé. Le riche mobilier sur lesquels ces sphères reposent emprunte au vocabulaire scientifique. Le récit lacrymogène, avec son socle, évoque les premiers efforts de cartographie du globe chez l’homme, et signale par-dessus tout des tentatives partielles et changeantes de la compréhension du monde, limitées par l’état de la connaissance (le premier globe terrestre connu, le globe Erdapfel ne représentant ni l’Afrique, ni l’Australie). L’œil enchâssé, quant à lui, est fiché sur un gyroscope potentiellement maniable. Là, le manipulateur découvrira une imagerie qui ne se livrera qu’à arpenter la surface d’encaustique, au gré d’une double rotation. Idem pour Le récit lacrymogène, qui laisse découvrir un réseau de lignes au service de représentations sans cesse se prolongeant les unes dans les autres. En cela, se présente une simultanéité d’actions, de gestes et d’images qui sollicite la participation du spectateur/observateur pour prendre vie. Ainsi s’active une pensée rhizomatique. Or, l’objet est moins ici de mettre à mal un modèle arborescent d’organisation de la connaissance que de repousser pour l’artiste une autre contrainte qu’imposent les carnets de dessins élaborés dans le passé, qui avaient comme particularité, comme un cadavre exquis dans la seule tête de l’artiste, de se répandre d’une page à l’autre sans apparente discontinuité. Ici, la linéarité imposée par la succession des pages est repoussée avec brio.
L’artiste a de son propre chef puisé chez Perec ce sens de la simultanéité qui s’empare de cette exposition au semblant disparate, notamment dans La vie mode d’emploi et son modèle de romans imbriqués et de réalités synchrones. Précisément, les dispositifs exploités par Paryse Martin nous permettent d’enrayer les chemins qu’elle-même a pu aménager dans ces œuvres. Et de créer de nouveaux mouvements.
Bernard Lamarche
Née à Caribou dans le Maine (É-U) en 1959, Paryse Martin à réaliser un baccalauréat en arts plastiques, une maîtrise en création et un D.E.S. en livre d’artiste à l’université Laval. Elle détient un doctorat en étude et pratique des arts de l’UQAM en 2007. Elle est chargée de cours depuis 1991 à l’école des arts visuels de l’université Laval.
Paryse Martin œuvre dans le domaine des arts visuels depuis près de 30 ans. Plusieurs fois boursière du Conseil des arts du Canada et du conseil des arts et des lettres du Québec, ainsi que le l’université Laval, elle réalise de nombreuses expositions au Québec et à l’étranger. Elle a séjournée en Europe et elle a présenté son travail, entre autre, au Musée de la Commanderie et au Tijdelijk museum en Hollande. Récemment elle était présente au Musée National des beaux-arts de Québec, et participait à plusieurs évènements dans divers centre d’artiste. Présentement ses œuvres font partie de l’exposition DÉBORDEMENT au Musée de Lachine à Montréal et cet automne elle est invitée par le centre d’artiste l’œil de poisson. Ses œuvres font partie de plusieurs collections publiques et privées dont le Musée national de beaux-arts du Québec, Télé-Globe Canada, collection Claridge, la ville de Montréal et de la Banque nationale du Canada. Paryse Martin a également réalisé des œuvres publics.