Les soins des Amazones @squarefemininity
- Annie Baillargeon
Galerie II
Se maquiller, se masquer, s’inventer. Des images circulent sous nos yeux, sur nos écrans. Elles se glissent, tentaculaires, dans nos vies, nos corps, nos désirs. Elles ne mentent pas. Elles ne révèlent rien. Elles fascinent. Elles sont parfaites. Forte d’une esthétique à la fois déjantée, parfois drôle et souvent troublante, Baillargeon donne à voir une réflexion sur la plasticité du corps féminin. Sous la forme d’une expérience autofictive, l’artiste invite à considérer les différentes façons de produire un corps afin de contrecarrer l’imagerie féminine véhiculée par les médias numériques et la culture consumériste. Le temps d’une exposition, elle devient une de ces créatures hybrides qui peuplent nos fils d’actualités.
Le corps féminin est traversé par des fictions sociales, capitalistes et genrées qui le façonnent et le conditionnent, autant d’attentes oppressantes qui régissent son apparence et tendent à son homogénéisation. Aussi bien critique qu’amusée, autant méfiante qu’intriguée, l’artiste se prête au jeu de la fiction. À travers différents médias et supports, Baillargeon s’intéresse au dispositif de production de cette fiction du féminin, en particulier celle de la perfectibilité et de la jeunesse éternelle. Dans ses performances pour la caméra, elle se met en scène en train d’utiliser des produits et appareils de beauté d’une manière maladroite et déviante qui détourne les gestes de soin indiqués par les modes d’emploi et les tutoriels qui en font la promotion. À la fois modèle et cobaye, elle décline tour à tour ces outils promotionnels en un rituel, un sacre ou encore une ascèse. Ces gestes témoignent du rapport à son corps. Vieillissement, prise de poids, sexualité, accouchement, post-partum, ménopause sont abordés toujours d’une manière qui les intègre à cette fiction du féminin. Soigner son image, laisse entendre l’artiste, c’est aussi assumer ses faiblesses, ses imperfections, ses fatigues.
Les images présentées en viennent à constituer un système de relations qui entrecroise l’industrie cosmétique, les réseaux sociaux et les rituels de soins. Au fil des œuvres se dessine un certain horizon : le corps qui s’incarne par le rituel est aux prises avec sa propre matière. Aux différentes « techniques de soi » qui confinent et capturent les fictions du féminin, le corps formule une réponse simple : je ne suis pas une utopie, je m’invente, je me soigne. Réponse ambigüe, coextensive à la fiction de la perfection féminine, mais qui produit aussi une forme revendicatrice d’autofiction. Comme l’ironie du titre de l’exposition le suggère, c’est aussi là que se trouve toute la force du geste féministe qui cherche à « sortir de la fiction par la fiction ».1
Nicole Brossard et Susanne de Lotbinière-Harwood, Elle serait la première phrase de mon prochain roman / She Would Be the First Sentence of My Next Novel (Mercury Press, 1998), p. 98.
Texte d’Émile Lévesque-Jalbert
Biographie de l’auteur
Émile Lévesque-Jalbert est doctorant dans la section française du département de langues et littératures romanes de l’Université Harvard. Ses recherches portent sur la pensée écologique, les arts littéraires et la littérature contemporaine française et francophone. Ses travaux ont été publiés au Québec, en France et aux États-Unis.
Biographie de l’artiste
Née à Victoriaville, Annie Baillargeon détient un baccalauréat en arts visuels de l’Université Laval à Québec, où elle vit et travaille. Son parcours comprend des expositions individuelles et collectives en centres d’artistes et dans des musées ainsi que de nombreuses participations à des événements d’envergure au Québec, au Canada, aux États-Unis, en Amérique du Sud et en Europe. Elle a cofondé deux collectifs de performance : Les Fermières obsédées de 2001 à 2015, puis B.L.U.S.H. depuis 2015. Elle est représentée par la galerie Chiguer art contemporain à Montréal et à Québec. Ses œuvres font partie des collections du Musée des beaux-arts du Canada et du Musée national des beaux-arts du Québec.
Remerciements
Etienne Boucher, Encadrements François Simard, Emile Levesques Jalbert, Ricardo Savard, La Bande Vidéo et le CALQ pour le financement du projet.
Crédit vidéo : Noémie da Silva
Crédit photo : Jean-Michael Seminaro