Les Vases Communicants

  • Laurent CRASTE
du 10 mai au 7 juin 2008

Nous vivons dans un monde envahi par les objets, qui prennent possession de l’espace et agissent comme des substituts de présence. C’est du moins ce que constate Laurent Craste. Le mobilier qu’il a choisi est à première vue classique et ne déparerait pas une maison cossue : copies de vases de Sèvres en porcelaine, assiette décorative de faïence, secrétaire de style Empire. Cependant, l’envers du décor y est doublement présent : par l’encombrement des appareils et des fils, ainsi que par le contenu des vidéos.

Céramiste de formation, Laurent Craste s’oriente depuis quelque temps vers une pratique transdisciplinaire alliant vidéo et objets. On assiste ici à une reformulation tridimensionnelle du thème de la nature morte, à travers un passage par les arts décoratifs. Jusqu’au XVIIe siècle, on parlait de « nature reposée », de « vie immobile », pour la qualifier. Ce n’est qu’à partir de 1756 que l’expression « nature morte » sera définitivement adoptée. Laurent Craste anime cette vie immobile, il lui donne un côté magique.

Chaque « tableau » projeté possède sa couleur humorale : mélancolie de la nature morte qui s’effeuille, engluement de la colère dans un ralenti semblable au cauchemar, tristesse du champ enneigé. Empreints d’émotions liées à la disparition, les tableaux énumèrent les passages obligés d’un deuil, tout en conservant une certaine distance par rapport à la lourdeur du thème. La nudité du personnage est incongrue et contraste avec le réalisme minutieux des décors sur les porcelaines. La flétrissure des fleurs, la décomposition des fruits, la disparition dans une lueur aveuglante de l’image de la maison de campagne ancienne figurent comme symboles du passage du temps et de la dégradation irréversible des plantes, des objets et des corps.

Ces décors sont aussi des images réifiées, usées par le temps et l’usage : des clichés figeant une époque. Laurent Craste s’attaque à cette caractéristique des arts décoratifs qui est de saisir un motif prégnant et de le reproduire à satiété, jusqu’à ce qu’il perde son sens. Il saisit le motif et le retourne sur lui-même, l’envahit, le métamorphose et ce faisant, lui redonne une épaisseur de sens.

L’oeuvre donne aussi à réfléchir sur le tissu social qui nous entoure et que nous ne distinguons plus. Chaque famille s’insère dans un ensemble social qui a adopté une série d’habitudes qui se traduisent notamment dans leurs goûts. Le secrétaire et les vases dénotent un milieu plutôt conservateur, une classe moyenne supérieure qui n’aime pas être dérangée dans ses convictions.

En personnifiant la mélancolie, la colère et la tristesse, l’artiste ne fait pas oeuvre narcissique, mais plutôt met en pratique la devise adoptée par Socrate, « connais-toi toi-même ». Cette oeuvre, tout en étant introspective, vient néanmoins nous toucher, parce que les affects qui y sont exprimés sont universels. Elle fait penser à la manipulation d’une toile de Jouy avant qu’elle soit fixée à un meuble : d’un côté le tissage minutieux, de l’autre, les traces de la fabrication, les fils, le dessin inversé, soit tout ce qui doit être caché et qui est maintenant révélé.

Pascale Beaudet


D’origine française, Laurent Craste vit et travaille à Montréal depuis le début des années 90. Il partage sa carrière entre une pratique d’atelier et l’enseignement de la céramique au niveau collégial, au Centre de céramique Bonsecours – Cégep du Vieux-Montréal.

Céramiste de formation, Laurent Craste s’oriente depuis quelques temps vers une pratique transdisciplinaire. Ses recherches, centrées sur l’exploration conceptuelle des multiples strates de signification des objets décoratifs, s’incarnent dans des réalisations protéiformes, comme la sculpture, l’installation et, plus récemment, l’intervention et l’installation vidéo.

Les travaux de recherche de l’artiste, qui est titulaire d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques, lui ont valu une bourse d’excellence de l’UQAM pour les cycles supérieurs, ainsi qu’une bourse du Centre interuniversitaire en arts médiatiques (CIAM). En 2002, il recevait le prestigieux Winifred Shantz Award décerné par la Canadian Clay and Glass Gallery. En 2005, il était finaliste du Concours international de céramique de Carouge, en Suisse. Il est invité très régulièrement à exposer ses travaux au Canada et à l’étranger, particulièrement aux États-Unis et en Europe. Ses oeuvres se retrouvent dans de nombreuses collections privées, ainsi que dans les collections de céramique contemporaine de plusieurs institutions (Musée Bertrand de la ville de Châteauroux, en France; Collection Loto-Québec; Musée des maîtres et artisans du Québec, etc.).

La création de cette oeuvre a été rendue possible grâce à l’appui financier du Conseil des arts et des lettres du Québec sous la forme d’une bourse de recherche et création.

L’artiste tient également à remercier l’institut de recherche/création en arts et technologies médiatiques Hexagram, et plus particulièrement M. Dan N’Guyen, pour son soutien logistique.

Article de Géraldine Zaccardelli, Vie des Arts, vol.52, n°212, 2008, p88-89

Site internet de l’artiste