Linéaments

  • Francis LIMÉRAT
du 16 avril au 14 mai 2005

La baguette de bois s’offre à deux destinées contradictoires. Elle peut être le bâton
de marche du nomade, hostile à tout enracinement, mais elle peut en revanche par
la multiplication et la combinaison constituer l’édifice, le lieu clos de l’homme qui
s’installe dans un territoire particulier.
     Symboliquement j’aimerais que mes constructions unissent ces deux voies.

Francis Limérat, 1982

Mon souhait serait que la lecture de ces parcours de lignes, de ces croisements, de
leur suspens même, fût de la plus grande lenteur et qu’enfin libre de toute conduite la
pensée s’accomplisse dans les figures du vide ainsi désignées.
C’est ce lieu, ce hors-lieu, qu’appellent, je le crois, ces gestes paradoxaux de
constructions soigneusement détruites, soumises à la soustraction, à l’élimination, à la
taille, ces gestes d’effacement, d’enfouissement, d’absence.

Francis Limérat, 1999

Un espace plein de vide

Lâcher prise. Longtemps, le travail de Francis Limérat sʼattachait à tenir les choses : construire (composer), mais surtout, immédiatement après, arrimer, consolider, circonscrire, délimiter, border un territoire, borner, au risque de fermer, de trop retenir. Mais, avec le temps, lʼoeuvre sʼest laissée peu à peu gagner par lʼimprévu et le jeu subtil de lʼaléatoire dans la composition. Cʼest désormais une écriture très singulière quʼil nous donne à déchiffrer, une écriture du sensible et de lʼerrance quʼil nous invite à parcourir, une écriture non pas automatique, mais libre, ou plus exactement libérée. Cette liberté quʼil se donne, quʼil donne à son oeuvre, il nous la donne aussi. Nulle entrée privilégiée. Il faut se laisser porter par lʼair qui circule entre les lignes et passer du dessin à lʼombre portée sur le mur sans se soucier des prétendues limites entre les figures et leurs ombres.

Francis Limérat est-il peintre, sculpteur, dessinateur, architecte ? Son oeuvre est difficile à classer. Ce sont aussi des oeuvres musicales dont le rythme sʼorganise sur dʼétranges portées : une trame, un carroyage ou un châssis, badigeonné de blanc, supporte, sous-tend la composition, réaffirmant la place du dessin, lʼimportance de la structure, lʼimpératif de rigueur qui précède, prépare et assure la liberté de lʼoeuvre à venir.

De fines baguettes de bois teinté dessinent des courbes et des contre-courbes, assouplissent le dessin, lʼinfléchissent. La composition se joue (de ?) dans cette tension. Des lignes sortent parfois du cadre ou du champ. La composition déborde, outrepasse, défie les limites imposées.

Quel est le matériau de Francis Limérat ? Du bois, certes, mais aussi de lʼair, du vide, mais encore lʼombre portée sur le mur, comme dédoublement du dessin, attendri en quelque sorte, adouci par le détour. Cʼest un jeu sur les espaces et les limites, les tensions dʼune ligne, dʼune courbe : jusquʼoù plier le trait sans en rompre lʼénergie ? Ces lignes tendues tiennent ensemble la composition. Structures arachnéennes soulignées par leurs ombres portées. On pense à des cartographies, des flux, des circulations. On pourrait y voir, par exemple, le réseau de plomb dʼun vitrail. Lʼoeuvre se prêterait volontiers à cette forme dʼexploration, on imagine le jeu subtil du plomb jouant avec les différentes qualités de verres – blancs, transparents, sablés… Un projet est en cours, nous sommes impatients de découvrir les vitraux que Francis Limérat réalisera pour une chapelle du sud de la France, lʼété prochain.

Lʼesprit et lʼoeil vagabondent, musardent comme il leur chante. Le dessin nous conduit loin dans une exploration intime. Ces méandres sont les nôtres. Ces cartographies coïncident avec nos paysages imaginaires. Le voyage ne poursuit aucun but précis : le chemin, cʼest le détour. Cʼest une déambulation pure, pour le plaisir dʼaller dans le monde, légers, comme lʼoeuvre débarrassée de tout ce qui pouvait encore lʼencombrer : le souci de ne rien oublier, la crainte de sʼégarer. Une oeuvre libérée dʼun poids qui nous invite à la rejoindre dans cette liberté retrouvée : habiter enfin un espace plein de vide.

Olivier Delavallade


Francis Limérat est né le 1er août 1946 à Alger. Il vit et travaille à Paris et dans lʼEntre-deux-Mers et enseigne à lʼEcole Régionale des Beaux-Arts dʼAngers.

Expositions Personnelles (sélection à partir de 1990)

1990 – Galerie Graff, Montréal
Galerie Leif Stahle, Paris
1992 – Francis Limérat 1972-1992, Musée des Beaux-Arts, Angers (rétrospective)
Galerie Le Troisième Oeil, Bordeaux
Dessins, Ecole Régionale des Beaux-Arts, Angers
1994 – Galerie Le Troisième Oeil, Paris
1997 – Domaine de Lescombes, Eysines
2000 – Vingt ans de création, bois peints, dessins, carnets de voyage, Centre dʼArts Plastiques, Royan
Galerie Arrêt sur LʼImage, Bordeaux
2002- Galerie Sabine Puget, Paris
Lʼart dans les chapelles, Chapelle Saint-Nicodème en Guénin, Morbihan
Galerie Bleue, Riscle (Gers)
2003 – Centre dʼArt Contemporain, Bouvet-Ladubay, Saint Florent-Saumur
2005 – Institut Français de Marrakech
Galerie Eric Devlin, Montréal
Centre dʼexposition Circa

Exposition collectives (sélection)

1999 – Nils Udo-Francis Limérat, Galerie Krief, Paris
Les Peintres de Sed Contra, Hier et Aujourdʼhui, Domaine de Lescombes, Eysines
2001 – Manif 01, Art Center, Seoul
Pickʼs Art Gallery, Ostende
2002 -Territoires alentour, Galerie Sabine Puget, Paris
Galerie Sabine Puget, Art Paris, Paris
2003 – Carte Blanche à Francis Limérat et Clémence Van Lunen, Abbaye du Ronceray. Angers
Libre Choix, Galerie Sabine Puget, Paris
2004 – Campus Europe Art, exposition itinérante dans les Universités françaises et européennes
Collection Schweitzer, Stewart Hall Gallery, Montréal (Canada)
Le silence aussi se regarde II, Galerie Sabine Puget à Château Barras (Var)

Olivier Delavallade est directeur de lʼartothèque de Nantes et directeur artistique du festival L’art dans les chapelles, art contemporain et patrimoine religieux, en centre Bretagne.

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