Manières, manoeuvres et manèges (We know what you are up to)

  • Michel GOULET
du 9 septembre au 7 octobre 2006

Notes autour d’une sortie publique.

Quelques époques sont identifiées par des dates ou des événements interchangeables : les années soixante, les années de l’après-guerre, la présente décennie, l’anniversaire de naissance de leur fille. D’autres se caractérisent par des phénomènes et changements sociaux importants : les années lumières, la grande noirceur, la révolution tranquille, le 11 septembre.

Lorsqu’on nomme une chose, c’est qu’on veut l’isoler du contexte générique et la particulariser de manière à la distinguer et la qualifier. Le nom sert de signe. Lorsqu’on nomme l’objet d’art, qu’on lui applique un nom, c’est pour le désigner, certes, c’est aussi pour en faire un projet distinct et déterminer le champ des préoccupations qui concernent cette aventure précise : le titre est le motif de la rencontre.

Lorsque j’ai entrepris la réalisation d’oeuvres qui pourraient faire l’objet de cette présentation, je n’avais en tête que les notions de vérité et de mensonge et les nommer se réduisait souvent aux mots qui sont constamment dans mon vocabulaire et qui forment maintenant le titre de l’exposition : manières, manoeuvres, manèges et d’autres encore. L’espace dicterait la présentation mais l’oeuvre ne serait pas in-situ. Je n’expose pas d’oeuvres in-situ. Je vis avec des préoccupations qui me hantent et me poursuivent et chaque lieu, si il n’impose pas le projet, l’éclaire, l’informe et souvent en renouvelle le sens.

Cette présente exposition s’ouvre maintenant sur ce titre bilingue intriguant dont chacune des parties ne pourra pas être traduite littéralement dans l’autre langue sans en perdre le sens parce que chaque terme appartient aux caractères idiomatiques des langues. On pourra ici évaluer la perte et le renouvellement de sens dans la traduction de l’objet du quotidien ou l’objet artisanal dans son passage sans manipulation, d’usuel à oeuvre d’art. De plus on ne se surprendra pas d’y retrouver aussi de nouvelles incursions dans tout ce que propose le double sens de chacun des termes.

Le langage plastique est une chose très particulière, d’abord parce qu’il emprunte à la vie et à l’expérience mais aussi parce qu’il s’associe aux autres langages et à toutes les formes de connaissance et d’expérience. On a souvent l’impression qu’il nous permettra de comprendre quelque chose, de comprendre mieux, mais le langage d’un artiste est fait d’idiomes qu’il ne faut pas tenter de comprendre et de traduire littéralement mais qu’il faut démonter. Regarder c’est surtout prendre plaisir à reconnaître des réalités complexes et, dans mon cas, un éclectisme cohérent fait d’assemblages, de compilations, d’accumulations, d’énumérations qui créent une expérience d’immédiateté.

Marquer un lieu, marquer dans un lieu.

J’ai créé pour ce lieu d’exposition une oeuvre inédite qui traverse l’espace en diagonale, le divise et le subdivise et marque le rythme de la déambulation. Les choses du temps étant ce qu’elles sont est un long trait séquencé de douze tableaux qui permettent l’apparition de tous les paradoxes. Le regard y est détourné, manipulé, amusé et mystifié.

L’exposition regroupe aussi une suite d’oeuvres murales entreprises durant la présente année sous le vocable : Les dessins magnétiques. Ces dessins reprennent une idée qui m’est chère : celle de laisser au visiteur une part de manipulation et une possibilité réelle de modifier matériellement l’oeuvre et même d’en contourner le sens en créant une diversion. Si nous pouvons comme témoin d’une oeuvre d’art en manipuler le sens en l’interprétant à notre façon et selon notre expérience propre, pourquoi ne pas permettre, en posant certaines contraintes qui s’apparentent aux règles du jeu, de vérifier ce que l’autre a le goût de laisser comme traces personnelles ? Puis ces traces seront remplacées par d’autres qui effaceront les premières mais toujours avec celles de l’artiste comme référent.

Michel Goulet


Michel Goulet vit et travaille à Montréal. Il a enseigné la sculpture à l’Université d’Ottawa de 1976 à 1986 et à l’Université du Québec à Montréal de 1987 à 2003. Durant ses trente ans de présence ininterrompue sur la scène artistique, ses oeuvres ont fait partie de nombreuses expositions importantes dans des lieux prestigieux au Canada et à l’étranger, et on les retrouve dans de grandes collections publiques et privées. En 1988, il représente le Canada à la Biennale de Venise. En 1990, il reçoit le Prix Paul-Émile-Borduas. 

En 1997, le CIAC l’accueille avec une exposition majeure de ses oeuvres, Un signe de la main et, en 2004, le Musée d’art Contemporain de Montréal lui consacre une exposition-bilan: Part de vie, part de jeu. En juin 2006, il est invité par Claude Gosselin à participer à la première Biennale d’art contemporain du Havre, France, et y crée une oeuvre originale. Il est aussi cette année l’invité d’honneur de la Biennale nationale de sculpture contemporaine de Trois-Rivières. 

Reconnu pour sa contribution à l’art public tant ici qu’à l’étranger, il a créé plus de vingt oeuvres permanentes, que ce soit à Montréal, Lyon, Toronto, Vancouver. Il était en 1990 le premier artiste canadien invité par le Public Art Fund à montrer une oeuvre publique sur Doris Freedman Plaza à New York. Il a créé durant les deux dernières années deux projets remarquables, l’un pour le carrefour giratoire de l’île-des-soeurs (Le carrousel de l’île) et l’autre pour Le Quartier International de Montréal (Tables).

Deux masques de l’Académie québécoise du théâtre (1994 et 1999), le Prix Gascon-Roux (1997), et le Prix de l’Association québécoise des critiques de théâtre (1993) soulignent la grande qualité de son apport à la scénographie de théâtre. Il a conçu et réalisé sept scénographies majeures dont celle de Nathan le Sage de Lessing, présenté à la Cour d’honneur du Palais des Papes à Avignon ; il a aussi collaboré aux travaux des metteurs en scènes Loraine Pintal et Gilles Maheu. Il prépare actuellement une contribution pour la scène de l’opéra.

Michel Goulet tient à remercier le Conseil des arts et des lettres du Québec pour son appui à ce projet.

Article de René Viau dans Le Devoir le 23 spetembre 2006

Site internet de l’artiste