Manoeuvres exquises
- Paryse MARTIN
Paryse Martin façonne, cultive, réfléchit le monde, la matière. Elle colore, transforme, représente. Elle examine et agite l’inconscient dans un rapport très intime et très ouvert à l’imaginaire, un rapport qui ne saurait être trop englobant, mais qui enveloppe, un rapport foncièrement optimiste. Il en jaillit une sorte de tumulte des sens, des manoeuvres exquises qui témoignent de l’authenticité, de l’intégrité, du plaisir de voir et de ressentir, d’une expérience charnelle et subjective de la vie, repoussent les affres de l’assimilation et de l’aliénation au standard.
Ici, le décoratif n’a aucun équivalent dans le superficiel. Et, même si l’effet de surenchère est un choix esthétique, il organise tout autour de lui une volonté d’intensification des perceptions, d’un envoûtement transmis par l’éclatement du formel, par la multiplication des contrastes. Plus que jamais, le principe de confrontation est un moteur sémillant. Il donne naissance à une véritable communauté d’objets vivants où le figuratif flirte avec l’abstrait, où l’Eros et le Thanatos se côtoient, emmêlés dans un infini embrouillement du réel et du mythologique, où spirituel et matériel s’enchevêtrent comme les doigts de longues mains amoureuses. Il en découle une magnifique mise en scène du fantastique dans l’espace qui ne saurait fonctionner autrement que du point de vue de la démesure.
Alors, l’art apparaît dans ce qu’il a de fondamentalement pluraliste pour appréhender le réel. Le langage sculptural révèle les images du chaos, du désordre, mais d’un désordre organisé, non pas de la dispersion : du rassemblement. Il parcourt et pénètre inévitablement la vie. De partout, il laisse apparaître les sillons, les fissures, les voûtes érotiques des voies audacieuses d’un baroque contemporain.
Polychrome, éclaté, contrastant, l’art du motif fait de ce nouvel univers celui de l’expression des débordements, des excès de la séduction, de la sinuosité des passions. Il convie à l’exaltation et à la surprise par l’accumulation et l’hybridation des techniques, par la simplicité des matériaux, populaires, presque primaires, qui se jouxtent les uns aux autres dans la construction de masses complexes et hétérogènes. Le travail de l’ornement, ici, s’adresse directement à la gourmandise du regardeur. Il l’initie à une démarche essentiellement physique de la réception qui l’inscrit dans un rapport aux sens où l’amour devient une véritable solution au mal de la société et se présente d’instinct comme un besoin inéluctable, délicieux au centre de la vie, au centre de l’art.
Ici, et puissant, le seul mode de vie qui vaille, c’est celui de la création. Créer, c’est dresser l’indomestiquable de l’être vers l’extérieur. C’est permettre l’ouverture, la réception d’un ailleurs de l’instinctuel. Ouvrir une porte vers l’inconnu. Trouver le chahut des désirs, l’irrépressible des pulsions. Les jeux de l’intériorité jamais tout à fait familiers. La vie ici agit comme un grand jeu. L’art, comme un refus de la morosité, désarmé, sans être totalement frivole. Son acte de création est acte de célébration. Il témoigne d’une acceptation, puis d’une mise à l’épreuve de toutes les pensées, d’une libre expérience du fantasme. De toute évidence ici, l’oeuvre a la force d’assumer le sens de la liberté, comme la «liberté érotique de ne pas se limiter à la mort» de Chantal Chawaf.
On y trouve tout l’incontrôlable d’une réflexion sur la fragilité de la modernité. Face à l’empire du pragmatisme où les désirs et la folie sont évacués, la matière, désincarnée, la pensée, stérile, désertée, il se pose comme un salut nécessaire, exquis, octroyant le droit à l’insubordination. Il permet de se repositionner par rapport au réel, de réapprendre la plénitude éprouvée à s’investir dans la voie du sensoriel. Entrer dans l’oeuvre, c’est comme entrer dans le rêve, mais dans un rêve conscient, lucide. C’est accepter de laisser courir la pensée comme un cheval fou dans la stalle des désirs.
Valérie Litalien
Formation
2000-05 Doctorat en études et pratiques des arts, UQAM, Montréal, sous la direction de Mme Nycole Paquin. (En cours)
Expositions individuelles (sélection)
2005 Sauvage et cultivée, Esthésio art contemporain, Qc
1999 Les promises et le mur aux mensonges, Centre d’art de La Sarre
1998 Les promises et le mur aux mensonges, Galerie Regart, Lévis
1997 Les Glaces, Galerie L’oeil de poisson, Qc
1994 L’air et les souffles, Galerie 111, Nijmégen, Hollande
1992 Effleurements pour un gros gourmand…, Galerie Simon Blais, Montréal
Expositions collectives (sélection)
2004 Point de vue : Paysage contemporain, Esthésio art contemporain, Qc
2003 La manif d’art, artiste invité, Qc
2002 Les jardins, Galerie Matéria, Qc
2001 Livres d’artistes, Galerie de l’Université Laval, Qc
2000 Passart, Rouyn-Noranda
1999 La folle du logis, Maison Hamel-Bruneau, Québec
1998 La collection de prêts du musée, Musée national des beaux-arts, Qc
Paryse Martin est chargée de cours à l’Université Laval depuis 2000. Plusieurs de ses oeuvres font parties de collections publiques et privées. Elle a aussi réalisé cinq intégrations d’oeuvres à l’architectures.
L’artiste tient à remercier le Conseil des Arts et Lettres du Québec
Photographie : Sylvie Larouche
Article de Mélissa Kuntz dans Art in America, 2006
Article d’André-Louis Paré, Espace Sculpture, #77, 2006