MatHérialisation

  • Pierre GALLAIS
du 11 juin au 09 juillet 2011

Si je vous énonce : considérons un plan coupant l’espace intérieur de la galerie. Intellectuellement vous concevrez une image du résultat. Les murs qui délimitent la galerie seront coupés selon des droites et les éléments qui se trouvent à l’intérieur, selon leur place, leur forme, seront ou pas coupés par des lignes droites ou courbes. Toutes ces lignes étalées dans le volume de la salle seront en relation : une relation logique d’une précision indiscutable, celle qui caractérise l’objet «plan».

Ceci est d’une banalité ou d’une évidence mathématique, telle que nous n’y prêtons jamais attention intellectuellement et visuellement. Visuellement ? Faudrait-il que nous ayons l’occasion de nous y trouver confronté… ce qui n’est pas si fréquent.

Imaginons que nous soyons dans une obscurité suffisante qui ne permette plus de discerner les objets qui habitent la salle. Notre seul moyen de nous repérer dans cet espace sera de nous appuyer sur les éléments visibles. Si les seuls éléments visibles sont les segments définis par ce plan sécant, notre oeil, par nécessité et absence de distraction, va découvrir et goûter une information sensible et plastique qui n’est qu’une matHérialisation ou manière de rendre concret un concept banal, dans une situation particulière. Tout l’art demeure dans la manière de rendre cela poétique et/ou émouvant.

Nous ne percevons visuellement que par la lumière qui vient frapper notre rétine. En général, dans une pièce éclairée par exemple, les rayons lumineux de la source partent dans toutes les directions et s’en vont réfléchir sur les objets puis finissent par aboutir sur notre rétine. C’est la raison pour laquelle nous les percevons. Les flux de lumière reçus par la rétine nous renseignent sur leur forme. Si la source est très localisée et unidirectionnelle (comme un rayon laser) nous ne percevons qu’un point (si il n’y a pas de fumée ou brouillard qui permettent, alors, de percevoir la ligne droite du rayon… pour peu que le laser soit assez puissant et la densité de fumée ou brouillard suffisants). Imaginons, par un procédé technique, d’avoir une source lumineuse qui ne soit plus un seul rayon laser mais un plan de rayons lumineux ( un exemple, fréquent maintenant, se trouve dans les traceurs lasers que l’on trouve dans le commerce pour tracer l’horizontale en remplacement des niveaux à bulle). Lorsque la rétine captera de la lumière ce sera alors une ligne qu’elle percevra… et rien d’autre : l’intersection de ce plan avec la surface qui lui fera obstacle. Il faudrait certainement enfoncer plus loin le bouchon pour être précis… l’objectif n’est pas de faire de la science mais d’en user à des fins émotionnelles et ces remarques sont suffisantes. Si la salle est vide nous ne verrons que la trace sur les murs. Imaginons qu’une personne (différente de vous qui observez) se déplace dans la salle : vous percevrez un segment de ligne courbe, mobile dans l’espace, et ce qui reste de l’intersection avec les murs, immobile. Si nous avons la chance d’avoir un ensemble de personnes en un mouvement chorégraphié nous aurons un ballet de lignes dans un plan. Nous pouvons multiplier les plans de lumière et ainsi complexifier ce ballet.

Cette intervention est minimale et nécessite un certain silence intérieur, sinon recueillement, pour en goûter la saveur. D’expérience personnelle, j’ai constaté que, selon l’état ou la disponibilité dans lesquels je me trouvais, le résultat pouvait me sembler d’une grande banalité ou se révéler très émouvant… dans ma perception de ce grand inconnu qu’est l’espace. L’espace : ce vide dans lequel je me déplace sans trop y prêter attention ; cet infini que rien ne vient arrêter quand, par exemple, je m’allonge sur le sol fixant un ciel bleu pur, sans nuage. Alors je songe à l’émotion que je retrouvais, un jour, face aux monochromes bleus d’Yves Klein ! Sans repère je me sens perdu et lorsque tout est égal je suis pris de vertige.

Pierre Gallais


Né en 1950, Bretagne, France. Vit et travaille à Lyon, France

Formation d’ingénieur et mathématicien 

Penser la chose et la faire soi-même. La pensée guide la main. La main ouvre la pensée. Allier les mathématiques à l’art.

Cela n’est sans doute pas fréquent, cependant j’ai autant de plaisir à produire une démonstration qu’à réussir une oeuvre d’art. Il y a la pensée, l’émotion, l’incertitude du succès. Il y a le contact avec la chose qui naît, se développe. 

Fils d’artisan forgeron-mécanicien, ayant achevé mes études, je voulais continuer à garder ce contact privilégié avec la chose qui se fait : la faire moi-même. Ingénieur j’aurais perdu ce contact. Mathématicien j’aurais été trop abstrait. Artiste était la manière pour moi de rester artisan. Artiste, tout restait permis : je pouvais bien détourner les mathématiques des sentiers auxquels on les confine. Le métier d’ingénieur me permettait de calculer, si besoin, et réaliser les désirs qui traversent l’imagination du rêveur. 

Nombreuses collaborations avec les compositeurs de musique électroacoustique; échange régulièrement avec des mathématiciens chevronnés … on m’a même placé dans la famille des poètes … mais je suis avant tout plasticien.

Cette exposition est présentée en collaboration avec l’association ArtMandat de Barjols (France)

Institut de Mathologie par Pierre Gallais

Canadian Art – « Pierre Gallais- Laser Quest » by Bryne McLaughlin