Mise en échec

Commissaire: Natasha HÉBERT
  • João Onofre
du 27 avril au 27 mai 2006

Pour obtenir une réussite, il faut préalablement s’être fixé des objectifs. La réussite est le croisement entre les objectifs fixés au départ de l’action et l’atteinte de ces objectifs sur le point d’arrivée. L’échec est le rendez-vous manqué entre ces deux points. Nous vivons dans un monde dominé par le concept d’objectif : il faut avoir des objectifs, savoir se fixer des objectifs, consulter ses objectifs, atteindre ses objectifs, rencontrer ses objectifs. L’objectif est le roi du domaine de la réussite et la réussite, eh bien, est devenue le paradigme total, incontournable et indiscutable. L’échec, n’en parlons pas, il vit loin dans la banlieue de notre royaume, reclus et honteux. L’art n’est-il pas la grande preuve, le déploiement concret et matériel de la réussite ? Et pourtant, combien de ratages, de dérapages, de barbouillages, de détournements, d’actes inconscients, d’aléatoires, de risques, de chutes, d’errances, d’échecs et encore d’échecs, dominent le monde de la création…
Mise en échec est une exposition sans prétention qui présente deux artistes qui ont simplement éliminé l’objectif – et donc les chances de réussite -, pour se concentrer sur la construction laborieuse d’une oeuvre consacrée à l’échec. De prime abord futiles et incertaines, ces oeuvres ouvrent la réflexion sur tous ces objectifs, ces attentes, ces réussites et ces échecs qui encombrent nos vies.

João Onofre

Affichant des similitudes avec les travaux de Marti Anson, les vidéos de l’artiste portugais João Onofre s’articulent à leurs manières sur le principe de détournement des attentes annoncées. Onofre contrefait la relation entre les arts visuels et les arts de la scène en utilisant les artistes scéniques comme éléments visuels discordants. Scénographe dictateur et perfectionniste, il astreint les artistes professionnels qu’il engage à se soumettre à des performances complexes -et parfois contraires à leurs capacités – et les déstabilise dans leurs activités professionnelles usuelles. Le corps humain devient, sous les directives de l’artiste, une machine expérimentale. Résolument postmodernes, les travaux d’Onofre croulent sous les références, les déconstructions, les pertes de sens et les impasses. Ses expériences ne mènent à aucun résultat probant ni véritable succès, ni échec déterminant – puisque qu’aucun objectif précis n’est recherché, sinon celui de la démonstration froide de la futilité de ces expériences.

Par le contexte d’insécurité qu’il installe, il met en évidence la rupture des attentes des artistes performeurs et celles du spectateur. Les situations deviennent ainsi comiques, inconfortables, souffrantes ou incongrues. La disparition du référent usuel qui les caractérise déloge les artistes de leur fonction sublime pour les ramener vers le rôle de simples humains en chute.

Par exemple, son vidéo Nothing Will go Wrong (2000) présentait un gymnaste, qui, debout à côté d’un feu de circulation situé à une intersection, grimpe jusqu’au sommet du feu à la lumière verte, s’y tient sur les mains, tête vers le bas et ouvre les jambes. Au feu rouge, l’athlète redescend, prend une pause, jusqu’au feu vert suivant. Pour Instrumental Version (2002), la Chorale de Chambre de Lisbonne chantait a capella une version reconstruite de la pièce de musique électronique instrumentale The Robots, succès de 1978 du groupe allemand Kraftwerk. Dans la série, In the studio, 2002-2003, il a engagé des artistes de la scène à se produire dans son petit atelier de Lisbonne : un magicien et son assistante font une démonstration de lévitation (Believe, levitation in the studio, 2002), un dompteur de vautour laisse l’animal agir en liberté (Vulture in the studio, 2002) et une chanteuse, Catriona Shaw, chante Baldaressi qui chante Sol Lewitt dans une version rééditée de Like a Virgin (2003) de Madonna.

Le vidéo Pas d’Action (2002), présenté chez Circa est important et révélateur de la démarche de l’artiste – une oeuvre plus sadique que les autres. Ici, c’est la Compagnie Nationale de Ballet du Portugal qui a été engagée pour tenir sur les pointes en cinquième position (une position de transition normalement utilisée en mouvement). La position est maintenue par les membres du groupe jusqu’à ce que chacun soit retombé sur ses pieds, un danseur à la fois, sous l’oeil froid de la caméra. Les visages stoïques voilent la souffrance de la chute. Le geste contrôlé de la descente cherche à camoufler cet abandon. La discipline extrême, la perfection de l’exécution, la finesse, la légèreté sont la base même de la danse et ce, malgré les muscles endoloris et la lourde fatigue. L’échec n’y est pas une option. Il devient, dans le cas présent, le subtil moment, où d’un groupe en position d’exécution d’un ordre orienté vers l’atteinte de la perfection, un individu se détache et assume seul la responsabilité de son impuissance à y accéder. L’échec est ici le moment simple où il se libère de sa forme parfaite pour redevenir simplement humain. C’est la dissolution du groupe, de son sens, de sa fonction, de sa forme et de son utopie.


Expositions solos

2004 João Onofre, Magazine 4, Bregenz, Autriche
2003 João Onofre, Khunsthalle Wien-project space Karlplatz, Vienne, Autriche
2003 Nothing will go wrong, Museu do Chiado-National Museum of Contemporary Art, Lisbonne, Portugal ; Centro Gallego de Arte Contemporanea, Santiago de Compostelle, Espagne
2002 João Onofre, P.S.1, MOMA Contemporary Art Center, New York, États-Unis
2002 João Onofre, Herzliya Museum of Art, Telaviv, Israël

Expositions collectives

2005 Jugend von heute / Youth of Today, Schirn Kunsthalle, Frankfurt, Allemagne
2004 Animaux – Of Animals and Humans, Seedamm Kulturzentrum, Suisse
2003 Plunder, Dundee Contemporary Art, Dundee, Écosse
2002 Video Art Program, 13ème Biennale de Sydney, Sydney, Australie
2001 49ème Biennale de Venise – Plateau de l’Humanité, Venise, Italie
2000 Performing Bodies, Tate Modern, Londres, Angleterre

L’artiste tient à remercier les danseurs de la Companhia Nacional de Bailado Portugal (Compagnie Nationale de Ballet du Portugal), Christina Guerra Contemporary Art de Lisbonne et la Galerie Toni Tàpies de Barcelone.

Natasha Hébert vit entre Barcelone et Montréal. Elle est critique d’art, écrivaine et commissaire d’exposition depuis 1999

Article de Natasha Hébert dans Espace Sculpture, #78, 2006

Site internet de l’artiste