Nous sommes la nature

Les analogies se succèdent, les références littéraires se chevauchent et se confondent à une sculpture traditionnelle où le travail de la matière redevient l’essence de l’expression. En revendicant une filiation avec la sculpture de St-Jean-Port-Joli, Jean-Robert Drouillard opère une synthèse des genres et des styles. Cet «artisan en art visuel» nous raconte des histoires, ou plutôt l’histoire d’une famille qui est la sienne ou la nôtre…

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Au printemps 2010, Jean-Robert Drouillard nous présentait son exposition «Love Louve et le clan de l’ours». En exploitant une mise en scène narrative, le sculpteur de Québec est sporadiquement entré dans la peau d’un fabuliste contemporain. Il reprit à son compte le decorum surréaliste de certaines fables et déploya les membres du clan de l’ours dans un espace irréaliste aux inspirations boréales.

Une femme, deux oursons, un homme, des oies, un lièvre. Le statuaire classique laisse place à un jeu de déguisement où la femme porte la robe rouge d’un chaperon et une tête de loup en guise de couvre-chef, où les oursons en pyjama prennent possession d’un espace lorsque le premier déclare «je suis là» et que le second offre une fleur de porcelaine à la Love Louve. Le père à genou tourne le dos à cette scène, préoccupé par des questionnements existentiels. La peau de l’ours sur les épaules, il se fait la transition entre le monde extérieur et le monde intérieur: celui de l’artiste et de sa fable. Observateurs de cette scène, un jeune adolescent au masque de lièvre et quelques oies se tiennent à l’écart.

Mais le sculpteur est avant tout un artiste contemporain qui n’hésite pas à nous rappeler le réalisme moral de ces récits à l’aide de subtiles interventions hyperréalistes. Ce jeu d’illusion entre le vrai et le faux, le réel et le surréel, sème la confusion sur le rôle des personnages ainsi que sur le regard que l’on porte sur eux. La combinaison des masques animaliers et des imperfections morphologiques propres à chaque individu impose, par la différence et la difficulté à s’identifier, une distance entre le spectateur et ces corps étrangers. A certains égards, la sculpture de Jean-Robert Drouillard se situe aux confins d’un art populaire surréaliste et d’une poésie matérielle postmoderne.

Lors du Symposium International d’Art Contemporain de Baie St-Paul, l’artiste fait l’ébauche d’un nouveau projet au sein duquel il souhaite investir l’histoire et explorer de nouvelles perspectives. En effet, l’utilisation de véritables crânes d’ours noirs déplace son discours de la fabulation théâtrale vers un récit culturel plus engagé où les reliques animales ne font plus office de costumes d’apparât mais d’éléments littéralement fusionnés. L’ours noir, symbole par excellence de la croyance animiste autochtone, enrichit le discours de l’artiste par un réalisme déroutant et un référant culturel éloquent.

Présentée au Centre d’exposition Circa, cette famille nord-américaine moderne ne se limite plus à narrer des contes à l’aide de déguisements,
elle évoque l’Histoire et les vestiges d’un peuple boréal tout en se faisant notre guide vers des réflexions contemporaines où l’homme et la bête
sont devenus frères.

Aussi étranges que ces corps puissent paraître, Nous sommes la nature ne fait pas fi de la nature humaine. Elle en est son incarnation poétique et sculpturale.

Julien Lebargy

Article de Jérôme Delgado dans Le Devoir, 29 janvier 2011

Entretient avec l’artiste