Ombres sous tension : un environnement made in Circa

  • Joëlle MOROSOLI
  • Collaboration de Rolf Morosoli
du 10 septembre au 08 octobre 2011

Ombres sous tension consiste en un amalgame de panneaux confectionnés à partir de matériaux qui, transformant l’architecture même de la galerie, concourent à l’idée d’un environnement made in Circa. Par des jeux de fissuration des colonnes recouvertes d’un matériau imitant le plâtre, de déformation du plancher et de craquèlement des murs par étirage de bandelettes de tissu, l’artiste tisse un environnement sous tension. S’érigeant en une réalité trouble : un territoire reconduisant l’inertie d’objets inactifs dans l’agitation de l’espace, cet « habitacle » interactif, submergé d’ombres, pousse le spectateur à modifier ses habitudes perceptuelles pour se livrer à une expérience polysensorielle.

Indubitablement, il lui rappelle que ses sens se dérobent devant l’instable puisqu’il fait naître un grand branle qui rabat l’apparence des choses sur l’ici maintenant. Empli d’objets sculpturaux mobiles, dont leur vitalité « mécanique » active ad infinitum l’érection du dispositif installatif, l’aménagement exhibe, sans gêne, les rouages de sa conception, créant, du coup, une dramaturgie du « faire » en répétition, en récréation, mais aussi, et toujours, en représentation.

Circonscrivant un espace « délirant », il métamorphose la galerie en un enclos automate scénographiant un champ visuel qui, tout en maintenant le spectateur dans un état captif, quémande sa participation. Le mouvement incessant des colonnes, des murs et du plancher, introduisant le désordre dans la sensation, anime ainsi une séquence cinétique de « présences » spéculaires qui, tout en colorant le parcours fabrique divers moyens d’interaction participative : l’ici interpellant l’ailleurs, le réel interrogeant le fictif et le corps confrontant la mécanique des objets, épouvantant le lieu avant de lui rendre, momentanément, sa quiétude.

C’en est alors d’une mise en relation du spectateur avec le monde qui l’entoure – ses déplacements, parfois nerveux parfois soutenus, guident sa trajectoire émotionnelle qui, nimbée de traits de nuit et d’éclats de jour, délimite un champ de rêveries et de pensées distinctes. Environné de spectres, le lieu titille l’imaginaire tout comme il domestique la perception. Autrement, il corrobore au sentiment d’exaltation qui, rapidement, se transforme en un foyer de conflits à partir duquel tout se joue et se déjoue, tout se fait et se défait, tout se vit et se meurt : son destin, sa liberté.

Force est donc de constater que cet environnement magnifie l’espace même de la galerie autant que ce qui l’habite : sa volumétrie emplie de pleins et de vides qui modulent tant nos affects avec le lieu que nos habitudes de motricité qui, elles, s’en trouvent distraites. De surcroît, exige-t-il de notre corps un réajustement constant de ses postures – cherchant à stabiliser l’impression d’une perte d’équilibre. De même, dans cet espace factice créée de toutes pièces, où se voisinent l’effroi et la déraison, délimite-t-il un grand enfermement qui s’apparente à un internement psychologique – circonscrivant une hétérotopie où le corps doit se conformer aux poncifs de la pratique artistique : la mise en scène du lieu, lui-même.

L’environnement détone ainsi par son audace post-conceptuelle : recentrant la galerie au cœur du remaniement spatial, il reconnaît qu’il s’agit d’un espace préfabriqué de « présences » qui invite à vivre l’expérience in situ, ouvrant en avant ou au-devant un chemin de découvertes affectives. Cette ouverture éveille nos pulsions qui affleurent au contact des objets, mais aussi nous révèle que notre corps, tributaire de l’interaction avec l’environnement, est épris de penchants, de peurs et de passions. En est-il donc d’un donnant-donnant : le corps découvrant sa corporéité se déplace avec l’environnement, s’abandonnant, il vit une expérience personnelle et une transformation de soi.

Karl-Gilbert Murray


L’artiste Joëlle Morosoli, en collaboration avec Rolf Morosoli, pratique la sculpture en mouvement depuis une vingtaine d’années et a présenté plus d’une trentaine d’expositions solos au Québec (Montréal, Québec, Rimouski, etc.) et au Canada (Toronto, Halifax, Calgary, etc.). Parmi les expositions collectives d’importance, nous pouvons nommer celles au Centre Georges Pompidou à Paris et à La Chartreuse à Villeneuve-lez-Avignon. En 2002, elle représente le Québec à l’évènement ArtCanal dans le cadre de l’Exposition nationale Suisse.

Grâce à l’intégration des arts à l’architecture, elle a réalisé plus d’une vingtaine d’œuvres publiques dont celle du Palais des Congrès à Hull, du Centre Mère-Enfant à Québec et du Centre Roland-Leclerc à Trois-Rivières.

Récipiendaire de plusieurs bourses gouvernementales, elle a obtenu celle du Conseil de recherche en Sciences humaines du Canada pour la rédaction de sa thèse de doctorat. Titulaire d’un doctorat de l’Université Paris 8 en Esthétique, sciences et technologie des arts, elle a publié un essai intitulé L’installation en mouvement Une esthétique de la violence aux Éditions Art Le Sabord en 2007. Dans le domaine littéraire, elle a remporté le 2e prix Robert-Cliche pour le roman Le sablier de l’angoisse en 1986, a publié une fiction Le ressac des ombres à l’Hexagone et un recueil de poèmes Traînée rouge dans un soleil de lait aux Éditions Naaman.

Son implication dans le milieu de l’art a été de cofonder la revue Espace et d’en être la directrice adjointe de 1987 à 1997. Actuellement, elle enseigne les arts plastiques au Cégep de Saint-Laurent où elle coordonne le département d’arts plastiques et d’histoire de l’art.

Historien d’art de formation académique, Karl-Gilbert Murray est titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise de l’Université du Québec à Montréal. Critique d’art, il a collaboré à plusieurs revues spécialisées et, à titre d’auteur, rédigé plusieurs catalogues d’exposition et opuscules. Commissaire indépendant, il a, entre autres, réalisé et conceptualisé les expositions : Le Corps gay/The Gay Body (2002-2006); Attila Richard Lukacs, De l’obscurité/Inside Darkness (2008); Evergon, Jeux de la passion/Passion Plays (2009) et Ed Pien, Déliaison/Unbinding (2010).

Article de Jocelyne Connolly, ESPACE Sculpture #99, printemps 2012

Site internet de l’artiste