OSER le temps

  • Serge MARCHETTA
du 09 janvier au 13 février 2010

La ligne de vie que chaque être humain a dans sa paume symbolise le temps qui lui est imparti. Cette ligne, comme toute ligne, va d’un point à un autre. Le point de départ est l’instant où le temps est donné à un individu, sa naissance, le point final, celui où il lui est enlevé, sa mort. Tous les artistes tentent de déjouer le temps. Le musicien joue avec lui, tout en sachant qu’il est entièrement à sa merci. Le peintre et le dessinateur jouent dans l’espace limité de la toile et du papier. Le sculpteur qui crée une installation joue dans l’espace même où se trouvent les visiteurs de l’exposition. Peinture, dessin, installation in-situ, voilà les médiums dans lesquels Serge Marchetta s’est exprimé au fil du temps. L’exposition Oser le temps représente, en quelque sorte, un point à la ligne parce qu’il passe à un nouveau médium, la vidéo, où la bande sonore fait contrepoint aux images mobiles.

La ligne est l’élément fondamental dans l’art de Serge Marchetta. Elle a d’abord été l’intersection de deux plans dans des toiles qui se situaient dans la lignée de l’abstraction géométrique, puis elle a pris possession de grandes feuilles de papier avant de courir sur les murs, le sol, le plafond des galeries. Dans cette nouvelle oeuvre, Serge Marchetta formule clairement au spectateur sa demande : il lui réclame du temps. Toutefois, quels que soient les médiums que l’artiste ait employés, les oeuvres minimalistes qu’il crée ont toujours requis du temps pour être appréciées, la perception n’étant jamais donnée d’un seul coup d’oeil. Ainsi, dans la série intitulée Les yeux d’Argus, il fallait que le spectateur s’approche pour distinguer les lignes en relief qui avaient été gravées à l’endos de la feuille, car, de loin, il ne pouvait voir que les lignes dessinées. Dans les installations in-situ la ligne a emprunté la matérialité du fil. Le visiteur se déplaçait parmi des sculptures de fils qui semblaient s’élever des soclespar magie, puis s’arrêtait, l’instant d’après, devant une rivière de fils ondulés comme devant une frontière infranchissable.

Les fils que Serge Marchetta a d’abord brodés sur des feuilles de papier, puis tendus à travers l’espace, s’animent virtuellement dans cette installation vidéographique réalisée comme un diaporama d’images numériques en stop motion. Ici, la verticalité domine. Les fils fluorescents éclairés par une lumière noire prennent des tons bleus, verts, mauves, indigo, toutes couleurs associées à la spiritualité. Serge Marchetta dessine avec la lumière. C’est l’immobilité, et non le mouvement comme dans les oeuvres précédentes, qui est demandée au spectateur. Or, dans notre époque agitée, il est plus difficile d’obtenir que quelqu’un reste assis devant une oeuvre d’art visuel plutôt que de l’inciter à bouger. Pourtant, tout le plaisir esthétique d’Oser le temps réside dans la contemplation de ces fils lumineux, parfois ponctués de points, qui se métamorphosent continuellement. La musique tantôt accompagne l’image et tantôt s’en écarte. Un silence, un noir peuvent ramener celui qui commencerait à rêvasser pour le remettre abruptement sur la voie méditative. Une installation de fils fluorescents éclairés par une lumière noire reproduit dans l’espace réel un moment analogue à ceux que l’artiste a créés dans la vidéo.

L’être humain passe la majeure partie de son temps à faire des choses utiles. L’artiste qui demande au visiteur d’accorder à son oeuvre un peu de son temps lui donne en fait la possibilité de jouir pleinement du sien en le libérant pendant quelques minutes du fardeau de l’utilité. En fait, c’est le cadeau du hic et nunc (ici et maintenant) que Serge Marchetta fait à celui qui osera se livrer à la contemplation.

Françoise Belu


Diplômé de l’UQAM en 1995, Serge Marchetta pratique à Montréal. L’artiste a participé à plus d’une quarantaine d’expositions individuelles et collectives à Montréal, au Québec et à l’étranger. Marchetta s’intéresse au dessin et plus précisément à la ligne qui le génère dans le contexte de l’in situ. Suite à une résidence en France en 2009, l’artiste explore la technologie numérique par le biais de la photographie, de l’image vidéo et du son.

L’artiste tient à remercier pour leurs précieuses collaborations, Michel Pinault au montage et Guy Pelletier pour la trame sonore.