Paysage, etc.
- Janet LOGAN
L’identité n’est pas donnée une fois pour toute, elle
se construit et se transforme tout au long de l’existence.
Amin Maalouf, Les identités meurtrièresRéel-réel : cela n’existe pas, pour les humains.
Réel-fiction seulement, partout, toujours, dès lors que nous vivons dans le temps
Nancy Huston, L’espèce fabulatrice
La démarche de Janet Logan repose sur la prémisse suivante : la recherche identitaire et la mémoire. Pour y parvenir, il lui faut retourner dans le passé, mais cela signifie nécessairement façonner, interpréter et inventer son passé. Les titres de quelques-unes de ses expositions solo sont d’ailleurs révélateurs de ses préoccupations, Mémoires et rêves, Sucrerie et conte de fées, Mythes, mémoires et réalités, ainsi que le titre de certaines de ses oeuvres, tel Elle a été élevée dans du coton. Qui est donc Janet Logan? Une femme, féministe, dessinatrice de costume pour le théâtre, peintre, artiste en art visuel (installations), traductrice, une anglophone qui évolue dans un milieu francophone, sans parler de ses traits de caractère propres qui ne sont pas l’objet de notre réflexion, mais qui sont partie intégrante de son identité.
Depuis 1992, sa recherche identitaire se poursuit par la création d’installations où elle utilise des matériaux qui sont en lien avec son passé et habitent son présent : tissu, vêtement, filet, grillage, éponge, cordelette, bouton, pelure d’orange, etc., objets qu’elle trouve entre autres à l’Armée du Salut. Le travail de la matière, qu’elle transforme au fil de son inspiration et les caractéristiques sensibles de ces matériaux – mollesse, pesanteur, douceur, parfois dureté et densité – s’effectue toujours dans l’abstraction. Son approche offre des similitudes avec celles de Louise Bourgeois et d’Annette Messager, quoique ces deux artistes travaillent essentiellement dans le registre de la narrativité.
Paysage, etc. occupe deux espaces bien précis (sol et air) pour former un tout homogène. Janet Logan empile au sol sur des coffres ou des chevalets telles des poupées, des peluches ou des coussins, des parties du corps humain qu’elle a réalisées à partir de vêtements, en camaïeu de blanc, qu’elle a défaits et recousus. Elle a créé des objets indéterminés, suspendus au plafond et qui, juxtaposés les uns près des autres forment un tout qui de prime abord semble empreint de douceur et de légèreté, mais certaines des textures plus hérissées, entre autres le métal, s’opposent à ce qui est moelleux et réconfortant. Cette tension ainsi créée n’est aucunement menaçante, mais semble être le résultat d’une certaine anxiété. D’autre part, ce procédé d’exposition par suspension, amplement utilisé au XXe siècle, était déjà fort prisé au XVIe siècle – par exemple, dans les cabinets de curiosité où on suspendait du plafond les objets les plus étonnants.
Depuis son installation de 2005 intitulée Elle a été élevée dans du coton, l’utilisation dans son oeuvre de tissu blanc renvoie au décès d’un proche et à toute une symbolique asiatique où le blanc est associé à la mort et au deuil. En Asie, la mort est vue comme un passage obligé vers un monde nouveau, c’est-à-dire une renaissance, et il évoque la pureté.
Le processus même de création demeure un élément clé dans le travail de Janet Logan et il constitue une partie intégrante de sa recherche identitaire. Du choix des matériaux au travail d’exploration et de réalisation des formes en atelier, jusqu’à l’installation dans la salle d’exposition, tout ce processus de création est investi d’une part ludique en continuité avec les jeux de son enfance. Les formes abstraites ainsi créées et rassemblées sont le résultat de la fusion du réel et de la fi ction. Elles stimulent l’imagination, suscitent chez le spectateur diverses émotions, des sensations, des réfl exions et très certainement des réminiscences associées à l’enfance.
Danielle Lord
Historienne de l’art
Janet Logan est née à Montréal. Elle détient un diplôme de l’École d’art et de design du Musée des beaux-arts de Montréal, un diplôme de l’École nationale de théâtre du Canada, un baccalauréat en arts plastiques de l’Université Concordia et une maîtrise en arts de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle a exposé en solo et en groupe en Amérique du Nord et en Europe, dans les lieux aussi variés que le Musée National des Beaux- Arts du Québec, le Grand Palais à Paris, le Museo de Arte Contemporaneo de Monterrey au Mexique et la Galerie Sans Nom à Moncton au Nouveau-Brunswick. Membre active du Centre d’exposition Circa, Janet Logan travaille aussi en tant que traductrice.