Persistance
- Florine LEONI
- Sylvain BAUMANN
La recherche plastique dont témoigne le travail conjoint de Florine Léoni et Sylvain Baumann se pose à l’intérieur d’une réflexion sur la capacité que renferme toute expérience à transformer l’individu, mais également sur les mesures de manipulations, de séduction et d’infiltration dont notre quotidien peut faire l’objet. La résistance qu’engage cette donnée immatérielle, en relation aux empreintes tacites des événements sur la mémoire, est le noyau à partir duquel sont développées des installations multidisciplinaires, toujours en étroite relation à l’environnement immédiat. Si la trace laissée par chaque expérience vécue a une portée indéniable sur la construction identitaire, l’habitat social et spatial doit en effet être considéré de près. On peut certes invoquer que tout événement relève d’une articulation contextuelle. La difficulté se pose dès lors qu’on tente de cerner les moyens par lesquels cette articulation procède. Lorsque les événements nous concernent plus directement, c’est entre l’environnement et la mémoire que le contexte devient opératoire, là où les réflexes de la pensée agissent comme des filtres, et posent l’individu dans un intermédiaire entre perception et réaction.
C’est en référence à cette interstice où les battements de l’environnement modulent l’expérience que s’inscrit la présente installation. La rigidité métallique de l’échafaudage, sa rigueur orthogonale, agit comme une grille grand format évoquant tant un soubassement qu’une structure dominante. La fonction utilitaire de l’objet est alors mise à distance, sans pour autant le réduire à un pur objet formel. Élément central de l’installation, l’échafaudage instaure différentes formes de contrastes qui, malgré leur forte présence matérielle, sont dominées par une charge métaphorique. C’est ainsi que le filet noir qui se rattache à la structure statique, laissant par endroits traverser la lumière, superpose une autre grille de lecture, une autre manière de filtrer.
Plus flexible, mais aussi plus obscure, le filet participe à la force magnétique que semble dégager l’ensemble. Cet amalgame fonctionne à la manière d’une entité haptique capable d’attirer les objets les plus divers, d’en saisir certains au passage et de les garder captifs. De cette capture partielle ressortent des rapprochements et distanciations entre les éléments, dont le principe rappelle celui de la mémoire sélective. Selon cette perspective, l’oeuvre traite des phénomènes, objets, concepts ou sensations que l’esprit retient et canalise, mais aussi de ce qui s’y est dérobé hors de toute volonté. L’espace ouvert qui entoure la structure imbriquée peut alors renvoyer tant au champ du possible qu’à celui de l’oubli. Cela dit, les deux artistes interrogent aussi les idées qui s’introduisent dans l’esprit de façon involontaire, que ce soit par une influence malveillante ou des moyens de persuasion détournées. Sont alors pointés les rapports de force que les stratégies de contrôle peuvent générer à différents niveaux, dans les zones grises allant de l’objectif au subjectif, de la réalité à la fiction. Pour rendre compte de ces lieux intermédiaires, les interactions entre les formes, les matériaux et les fragments épars sont accentués par des combinatoires qui rompent la neutralité de l’espace. Partant, les points de rencontres à l’intérieur de l’installation dénotent de fortes tensions, qui renvoient à leur tour à un état de fragilité, à une présence passagère. Dans le flot d’un vaste mouvement, un instant s’est figé. En cherchant à « matérialiser ce qui n’est pas palpable », Sylvain Baumann et Florine Léoni défient les exigences du temps continu et montrent une voie possible pour la résistance de l’éphémère.
Aseman Sabet
Florine Leoni, née en Suisse en 1980, diplômé de la Lucerne University of Applied Sciences and Arts, et Sylvain Baumann, né en France en 1981, diplômé de l’Université d’Aix-en-Provence et de l’Université de Québec à Montréal, collaborent sur des projets d’installation depuis 2009. Leurs démarches respectives s’articulent en complément l’une de l’autre à partir de deux champs d’intérêts communs: la complexité des sentiments d’inconfort dans le contexte contemporain et l’identité des modèles projetés sur le tissu social.
Cette dernière année, ils ont présenté leur travail en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. Ils ont aussi participé à divers programmes de résidences et ont gagné le Prix de Reconnaissance Kunstkredit de la ville de Bâle.