Quelque part en Amérique

Vernissage le 25 mars 2017 à 15 h
  • Jean-Philippe ROY
du 25 mars au 29 avril 2017

Depuis plusieurs années, la pratique sculpturale de Jean-Philippe Roy est traversée par la notion de paysage, qu’il soit naturel, architectural, fantasmé, ou qu’il propose un mélange des trois. Par une méthodologie qui privilégie l’hybridation, l’assemblage et la rencontre d’éléments en apparence disparates, l’artiste recourt au vocabulaire de la sculpture, tout en questionnant un genre qui a longtemps appartenu à l’art pictural.

Le paysage est ici envisagé plus largement que la simple représentation d’un lieu donné. Il convoque la notion de territoire qui renvoie autant à une délimitation mentale subjective qu’à un contexte social, géographique ou culturel particulier, à partir duquel se développent et se définissent les identités. Ainsi, l’artiste investigue la préconception selon laquelle l’identité nationale ou ethnique est intimement liée au territoire naturel, un postulat qui parcourt notamment l’histoire de la peinture paysagiste au Canada. C’est donc sans surprise qu’est perceptible, ça et là, une part de vernaculaire associé à l’imagerie des régions éloignées et des terres forestières, sans toutefois évoquer un quelconque provincialisme folklorique. Ancrée dans la contemporanéité, la ruralité dont nous parle Roy participe de cet ordinaire qui échappe normalement à la représentation : les pagaies sur lesquelles repose cette grande sculpture, laquées comme seuls peuvent l’être les objets industriels, constituent simplement des symptômes d’un mode de vie spécifique à son contexte géographique. Il en va de même pour les pièges de trappage ou les châssis de machinerie, signes du quotidien qui, lorsqu’ils en sont extraits, deviennent les reliquats d’une culture souvent occultée au profit d’une vision pittoresque.

Dans les sculptures comme dans les œuvres sur papier, les multiples éléments assemblés agissent à la fois comme unités structurant la composition et comme vocables dont l’adjonction crée du sens, sinon une forme de récit. C’est ainsi que se lisent ces emprunts à l’imagerie autochtone nord-américaine et aux arts précolombiens qui, en superposant différentes temporalités et différents lieux, élargissent la notion de territoire à une construction qui ne repose pas uniquement sur une définition spatio-temporelle. Ce métissage de signes active un effet d’étrangeté souvent opérant dans les œuvres de Roy, lorsqu’elles forcent la rencontre d’éléments hétérogènes. Ceux-ci se juxtaposent ou se fondent en objets composites, telle cette pyramide à l’allure de bateau et de camion, à mi-chemin entre les jeux formels et l’édification d’une mythologie. Il en va de même pour cette sculpture grandeur nature en parfait équilibre au confluent du commun et de la tradition sacralisante. Le tiraillement entre ces deux lexiques semble provenir autant d’une expérience intuitive et incarnée de la nature à laquelle se prête la ruralité, que de la mise en doute des identités nationales dans un contexte de mondialisation. Face à l’effritement d’une conception du pays comme ensemble structurant et unificateur, des mécanismes d’identification à des concepts plus larges sont maintenant exploités; ici, l’américanité, dans toute la complexité de ses mythes fondateurs. Paradoxalement, ce regard globalisant est souvent assorti, comme c’est le cas chez Roy, d’un intérêt pour le micro-local et les spécificités de son environnement physique ou humain immédiat.

Dans un coin de la salle d’exposition, une boîte lumineuse montée sur de très hautes pattes, s’élevant presque jusqu’au plafond, arbore une composition rappelant sans conteste les couleurs et les formes du drapeau canadien. Ainsi collée contre le mur, cette boîte se révèle comme un fragment, dont on imagine le tout se poursuivre hors de notre champ de vision. De ce fait, son statut de symbole est réduit à une simple abstraction picturale, la seule dans un univers structuré par les volumes, les matières et les formes de la sculpture. La boucle se referme; ce plan de grandes zones de couleurs se donne, telle une ultime déconstruction du paysage, l’évocation d’un territoire morcelé et porté aux limites de ses conditions d’intelligibilité et de visibilité.

– Essai par Marie-Pier Bocquet


Originaire de Québec, Jean-Philippe ROY vit à Saint-Marcellin dans le Bas-Saint-Laurent où il travaille à titre d’artiste visuel et d’enseignant au Cégep de Rimouski. Depuis plus de dix ans, son travail artistique se développe essentiellement autour de la sculpture et du dessin. En 2006, il terminait une maîtrise en arts visuels à l’Université Laval. Son mémoire portant sur la notion de distance dans la sculpture a remporté la médaille d’or de la Gouverneure générale du Canada. Son travail a été présenté dans des résidences ainsi que des expositions individuelles et collectives au Québec, au Canada et à l’étranger. Récipiendaire de plusieurs prix et bourses, il recevait notamment en 2005 le prix Vidéré au Gala des prix de la culture de la Ville de Québec, en 2006 le Prix de l’artiste de la relève du Bas-St-Laurent et en 2013 le Prix à la création artistique en région du CALQDepuis quelques années, il réalise également des œuvres d’art public dans le cadre du programme d’intégration des arts à l’architecture. Onze œuvres publiques ont ainsi été réalisées à ce jour et installées sur le territoire du Québec.

Marie-Pier BOCQUET est candidate à la maîtrise en histoire de l’art à l’UQAM et actuellement coordonnatrice à la programmation d’Arprim, centre d’essai en art imprimé. Finaliste au concours Jeune critique de esse arts + opinions en 2016, elle développe une pratique d’auteure, de commissaire et de travailleuse culturelle. Depuis 2014, elle fait partie du comité éditorial de la revue de dessin HB. Elle a été co-commissaire de l’exposition HB no. 6 / HORS PAGE, présenté au Centre d’art et de diffusion Clark (2017) et commissaire de l’exposition de la relève en art d’impression Faire monde : regard sur les microcosmes de Catherine Magnan et d’Andréanne Gagnon, au centre d’artistes Caravansérail (2014).