Faire front commun
Deuxième halte de sa trilogie dévouée à la jeunesse, cette exposition de Jean-Robert Drouillard dépose en titre l’image excessive d’un accélérateur de particules, invitant à guetter la collision, créatrice de matière. À l’échelle de son atelier, l’artiste se penche sur les manifestations qui ont récemment mobilisé la jeunesse au Québec comme ailleurs dans le monde. Celle qu’il lui est donné à voir depuis son poste d’observation tout personnel : ses fils et leurs amis, militant. Taillés dans le bois, une poignée de personnages empruntent leurs traits, leurs postures, alors que des répliques de masques à gaz, de bidons d’essence et de bonbonnes aérosol forment les attributs de leur révolte.
Passant par les mains de Drouillard, ce lexique familier de la résistance se voit pourtant enveloppé d’un brouillard sémantique. À la faveur de celui-ci, ce sont des figures en clair-obscur, équivoques, qui se révèlent à nous. Nulle part la violence attendue de visages tordus par l’émotion ou de poings brandis. Plutôt, des corps plantés au sol avec la dégaine à demi relâchée des adolescents et le regard lointain, comme retiré dans la masse du matériau.
Dans l’atelier, l’artiste s’attache aux détails d’un vêtement, d’un tatouage, mais calibre la taille, épaissit les formes, préserve en partie l’anonymat du visage. C’est au prix d’un effort ambigu de rapprochement et de mise à distance qu’il capte l’énergie de ses modèles. Son entreprise reviendrait peut-être à enchevêtrer et à fondre ensemble dans les nervures du bois, le singulier (Rosalie, Cédric…) au général ou comme il le propose, à l’universel. En fait, une manière dans le coup de ciseaux, dans le choix des poses, signale que l’artiste ne cède en rien à l’un ou à l’autre. Et c’est possiblement de là, de cette tension volontairement entretenue qu’émane une présence trouble des sculptures de Jean-Robert Drouillard.
Au moment d’écrire ces lignes, la disposition des personnages et des objets dans la galerie n’est pas établie. Aussi, tout ce qui touche leurs relations dans l’espace, la théâtralité ou l’absence de théâtralité demeure évasif. Ce qui est sûr, c’est que les indices de l’urgence côtoient en parts égales ceux de l’intériorité. L’artiste fait tout autant place à une jeunesse solaire, poitrine et bras ouverts – à l’image de sa cheerleader – qu’à une jeunesse de l’ombre et du repli. Liées les unes aux autres, les figures sculptées se lisent semble-t-il comme les particules d’un seul et même « corps social ». Un geste répond à un autre, un portrait se forme, qui ne s’appuie pas sur une unité, mais sur un ensemble, éveillé et pensif. Ce qui circule entre les sculptures comme ce qui circule entre nous – nous soulève et nous mobilise – prend alors tout son poids.
Caroline Loncol Daigneault
C’est après des études en littérature et en création littéraire que Jean-Robert Drouillard se dirige vers la sculpture. Il est diplômé de l’École-atelier de sculpture de Québec en mai de l’an 2000 (maintenant appelée Maison des Métiers d’art). En 2002, il fonde, avec quatre autres artistes, la Coop Le Bloc 5, un atelier de production artistique situé à Limoilou, où il œuvre encore aujourd’hui. Il est enseignant à la Maison des Métiers d’art depuis 2004. Il est représenté par la galerie Lacerte à Québec et Montréal. Il habite le centre ville de Québec. Il est originaire de Gaspé.
Caroline Loncol Daigneault est auteure, chercheure et commissaire. Au cours des dix dernières années, elle a publié plusieurs articles et a notamment signé l’essai du catalogue de Michael Fernandes publié par le MAI, a dirigé un dossier sur le Spirituel dans l’art actuel et a supervisé une édition croisée avec la revue L’art même (Bruxelles). Un grand volet de ses recherches emprunte des avenues phénoménologiques pour réfléchir aux problématiques environnementales et territoriales dans les arts visuels. Intéressée par les formes hybrides de l’écriture sur les arts, elle a développé le Laboratoire parcellaire, une résidence d’auteurs à OBORO, qui a donné lieu à un cycle de médiation et à un ouvrage éponyme qu’elle a dirigé aux éditions La Peuplade. En 2012, elle était commissaire de la Biennale de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli, placée sous le thème de l’hospitalité, puis d’ELLE MARCHE blue mountain, une exposition avec l’artiste Vida Simon.