Sur le vif

  • Francis MONTILLAUD
du 15 octobre au 12 novembre 2011

LES FRÈRES MONTIGNY-DAVIAU ONT RIT À CHAUDES LARMES. La poussière retombe maintenant. Il ne reste que des relents, quelques larmes sur leurs joues. Un sourire niais au visage, ils sont exténués de s’être autant esclaffés. Ils ne se doutent pas qu’ils sont dans un lieu public. Leurs rires résonnent encore dans la pièce. Leur scène intime déborde dans la sphère sociale, mais ils continuent comme s’ils étaient dans leur salon, dans leur intimité à eux quatre.

FRANCIS ET MÉDÉRIC FONT DES PITRERIES. L’un susurre de belles niaiseries à l’autre et ils construisent une chorégraphie faciale qui en laissera peu indifférents. Ils ne se doutent pas qu’ils sont deux exemples parmi d’autres qui reflètent l’histoire de la grimace – toujours en marge de la grande Histoire, elle connaît un regain d’intérêt aujourd’hui. Ils sont des dérivés de l’art de Franz Xavier Messerschmidt, des illustrations de L’expression des passions comme l’entendait Charles Lebrun, deux oeuvres qui ont surpassé leur époque – les dix-septième et dix-huitième siècles – pour trouver un sens nouveau et d’autant plus fort dans notre monde contemporain. Si le spectateur n’y voit pas les références historiques, il en comprend toutefois l’inquiétante bonhommie.

MARTIAL A GUEULÉ. Tellement fort que Fabrice en tombe sur le dos, consterné, la main dans la bouche. Martial fait maintenant une moue de mépris vers son acolyte troublé. Ils ne se doutent pas qu’ils ont été moulés ainsi, qu’ils sont uniques par leur mimique, mais qu’ils proviennent d’un même homme, qui a dû tenir la pose lors du moulage, avec la sensation claustrophobe d’être enterré vivant. Ils ne se doutent pas qu’ils sont des photographies de plâtre, que le moule d’alginate a fonctionné comme un négatif, qui a rendu un faciès, la copie unique d’un rictus performé, maintenu le temps qu’il le faut. Le spectateur les voit comme des moments arrêtés, sans comprendre l’effort nécessaire pour maintenir le moment, il se demande plutôt si Fabrice se tient la langue ou la luette.

ÉRIC ET PATRICK SONT TORDUS DE RIRE. Dos à dos ils se marrent, à la suite d’un autre de leurs coups foireux. Ils ne se doutent pas qu’ils sont figés sur cette expression à tout jamais. Ils ne se doutent pas qu’ils sont calqués sur des acteurs, pigés dans le répertoire du cinéma, du clown et du mime, et qu’ils trônent sur une scène de théâtre adaptée à leur frasque arrêtée. Ils sont des masques expressifs d’un quotidien exacerbé. Le spectateur y verra, par mille et une références, un moment dont la temporalité dépasse l’objet déposé sur le socle.

ALEX ET PIERRICK ATTAQUENT CLOVIS. C’est Alex qui mène le bal, Pierrick ne fait que suivre, mais leur rival est mort de trouille et nul ne sait comment l’affront finira. Ils ne se doutent pas qu’ils incarnent une photographie des frères Sanchez, celle avec deux loups qui confrontent un chien. Ils provoquent une situation de puissance, d’inconfort, et le spectateur se voit mêlé à leur querelle.

FRANÇOIS EN BEAU FUSIL CRIE SUR PATRICE. Il le surplombe à deux centimètres de son visage et Patrice peine à rester stoïque. Ils ne se doutent pas qu’ils sont faits de matériaux bruts, de plâtre sans finition méticuleuse. Leurs visages sont imparfaits, mais ils s’en sortent bien. Leurs mimiques sont si précises, leurs expressions si criantes, qu’on en oublie leurs imperfections. Ils ont beau être statiques, on croirait entendre François crier et le spectateur en oublie les défauts du moulage.

DANY RESTE DANS SON COIN, SON MAJEUR DANS LA BOUCHE. Il ne se doute pas que ça peut être choquant. Il ne peut pas faire mieux, il ne connait rien d’autre.

Marc-Antoine K Phaneuf


Francis Montillaud vit et travaille à Montréal. Il a diffusé ses créations dans plusieurs galeries, centres d’artistes et événements au Québec, au Canada ainsi qu’en France. Sa pratique oscille entre l’installation, la sculpture et la vidéo.

C’est par un décloisonnement entre les arts visuels et le théâtre qu’il conçoit des oeuvres mettant en scène, parfois de façon saugrenue, parfois de façon ironique ou simplement humoristique les grands mythes sociaux de notre temps. Il s’intéresse aux manières de se comporter en société, aux différents types de savoir(savoir vivre, savoir parler, savoir se présenter) et aux relations de pouvoir caractéristiques des rapports sociaux du quotidien. Son plus récent travail a été présenté à la Place des Arts (Montréal) dans le cadre d’Art Souterrain, à la Galerie Occurrence (Montréal), à la Galerie Sans Nom (Moncton), à la place Gérald Godin (Montréal, métro Mont-Royal), à l’Oeil de Poisson (Québec), à la Galerie d’art de Matane et au Centre d’exposition de Val d’Or. En 2007, il réalisait une installation dans le bassin de la Place des Arts, à Montréal ainsi qu’une résidence vidéo au Laboratoire d’art à Toronto.

Aussi, durant cette période, il a élaboré la conception vidéo et participé à la scénographie de la pièce Ailleurs, un spectacle multimédia sur l’immigration de Kevin McCoy. Cette collaboration lui a valu une nomination au Gala des Masques 2007 dans la catégorie « Contribution Spéciale ». À l’automne 2011, dans le cadre de la Politique d’intégration des arts à l’architecture, il installera une oeuvre permanente pour le Parc Dollard-des-Ormeaux.
Remerciments: Simon Bouchard, Stephen Schofield, Marc-Antoine K Phaneuf, Élizabeth Samson, Jean Dubois, les appariteurs et techniciens de l’UQAM.

Marc-Antoine K. Phaneuf est artiste, auteur et commissaire. Il aime inventer des fictions et n’a jamais été moulé en alginate.

Site internet de l’artiste