Tergiverser vers le vide

Vernissage samedi 20 janvier 15h
  • Yannick De Serre
Du 20 janvier au 10 mars 2018

L’immanence de la rupture

 

Avec Tergiverser vers le vide et Behind Closed Doors : Body of Evidence, Yannick De Serre et Natascha Niederstrass mettent en lumière, en scène et en intrigue la rupture dans ce qu’elle a de plus irrationnel, violent et émouvant. Bien sûr, chacun décline cet acte de séparation brutale dans une forme narrative qui lui est propre. En abordant l’inacceptable, Natascha Niederstrass provoque un inconfort sournois dans une proposition surréaliste qui lie le macabre fait divers du Dahlia noir avec Étant donnés : 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage (1946-1966), dernière œuvre de Marcel Duchamp. Quant à lui, Yannick De Serre capte le poids de l’absence et du vide dans une expression délicate et poétique inspirée du thème du départ.

 

Même si la notion de rupture n’est pas à proprement parler l’objet des deux expositions, elle les relie par la nature tranchante de l’acte de séparation qui d’ailleurs se trouve à l’origine des faits ou des actes narrés dans chacun des deux projets. Action induisant une forme de brutalité ou de soudaineté, la rupture implique nécessairement une interruption dans le cours des choses, que celle-ci s’exprime sous la forme d’une discontinuité temporelle, marquant un avant et un après, ou encore sous celle d’une disjonction relationnelle, forçant les individus à éprouver l’inconfort de la dualité « présence-absence ».

 

Chez Yannick De Serre, l’objet de la rupture est in presencia. Au cœur de l’exposition Tergiverser vers le vide se trouve un sécateur, outil horticole destiné aux opérations de taille. C’est d’ailleurs cet objet qui a donné l’impulsion créatrice au projet. Il y a quelques années, l’artiste a demandé à son entourage plus ou moins proche de lui faire parvenir des lettres, en répondant à la question suivante : « Que laisseriez-vous sur la table pour expliquer votre départ? » Bien sûr plusieurs lettres lui sont parvenues; certaines d’entre elles tapissent aujourd’hui les murs de la galerie. Plus qu’une tentative d’explication, ces objets dévoilent parfois un état d’âme, souvent un état d’être duquel les signataires des lettres doivent et veulent souvent se délier. D’où la rupture nécessaire pour y parvenir! Face à ces lettres, le sécateur trône sur un empilement de feuilles, témoins d’œuvres passées, sciemment découpées par l’artiste. Cette main qui guide la taille, n’est-elle pas elle aussi celle qui métaphoriquement accompagne ou empêche le départ, retient l’autre ou le laisse aller? Il se dégage de la série de bouquets de fleurs réalisés en gaufrage et graphite, et exposés sur les murs de la galerie, face aux lettres, une déclinaison sentie d’émotions prises en charge par la gestualité et le positionnement de la main tenant le bouquet. Ici une main pince avec délicatesse le bouquet laissant transparaitre la fragilité du lien, là elle laisse aller le lien. Ailleurs, elle empoigne avec fermeté, voire colère, la gerbe empêchant l’échappée. Finalement, ouverte et tendue vers le haut, la même main opère une fusion avec le bouquet, signe probable d’un lâcher-prise. Dans cette cartographie d’émotions, Yannick De Serre place la rupture comme un levier engageant sans cesse le poids de la présence et celui de l’absence dans une lutte intérieure : rester et se perdre, partir et re-vivre. Que de tergiversations avant et dans l’acte! Si la rupture semble être réfléchie dans la tête de celui qui la cause, elle provoque l’incompréhension chez celui qui la subit. Alors viennent les questions et le doute; puis l’acte se nimbe de mystère.

 

– Émilie Granjon


 

 

L’Artiste Yannick De Serre est détenteur d’un baccalauréat en arts visuels de l’Université Laval. Il expose à travers le Québec en plus d’assurer une présence dans les grandes foires internationales (Papier-2015 à 2017, Art Basel-2013, TIAF-2011, Sydney et New-York-2010). En 2012, le Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul acquiert l’une de ses œuvres. Depuis, nous retrouvons ces œuvres dans de nombreuses collections privées et institutionnelles. La production récente de l’artiste met l’emphase sur l’omniprésence du vide dans nos vies respectives et ce, par l’entremise de techniques épurées, voir minimalistes. À l’hiver 2018, Yannick De Serre réalisera une résidence de création soutenue par le CALQ au Arteles Centre en Finlande. Depuis 2016, il est représenté par la Galerie Bernard à Montréal.