Thanatopsis

  • Philippe CARON-LEFEBVRE
du 30 août au 4 octobre 2014

« Dans une petite pièce éloignée, s’érigeait, parmi d’autres éléments composites, une structure polyforme d’une hauteur approximative de cinq pieds. Une lumière fluorescente et aride éclairait l’ensemble. L’objet se composait de deux sections : la partie basse, blanche, lisse et lustrée, prenait appui sur le sol au moyen de quatre pattes triangulaires; la partie haute, de forme octogonale et d’un bleu translucide, était parsemée de petites ouvertures répétées. En son centre, une créature reposait et, de temps à autre, remuait doucement. »

Semblable à un vaisseau spatial de taille réduite qu’on retrouve dans les récits de science-fiction, cette structure immuable se révèle comme une énigme à déchiffrer. Sur un fond d’univers parallèles, de récits dystopiques, de mondes terrifiants et de fiction spéculative, cet artefact pourrait très bien être le vestige d’une civilisation passée ou celui d’une société future. Au croisement de l’archéologie et de la science-fiction, Thanatopsis évoque une temporalité indécise, suspendue, engourdie.

L’observation de la créature dans son habitacle nous montre qu’elle est un véritable objet de fascination. Vieux de millions d’années, le scorpion abonde en significations. Il représente tour à tour la mort, la résilience, la guérison et la régénération. Telle une sentinelle chargée de la surveillance de la chambre, munie de pinces et sécrétant un venin mortel, cet animal apparaît menaçant et fatal aux yeux de plusieurs. Le scorpion est une figure obscure, sauvage et imprévisible, qui attire autant qu’elle inquiète.

Autour de cette figure dominante, les œuvres réunies sont marquées par la symétrie et l’équilibre. Le terrarium est entouré d’objets picturaux et sculpturaux dont les schémas et les motifs évoquent les courbes et les volutes de la nature. Les dessins de pliage se composent de configurations complexes, semblables à celles des structures évolutives et cristallines. Les sculptures, quant à elles, sont inspirées par les structures arborescentes : les motifs et les textures rappellent les ramures d’un arbre, tandis que les reflets irisés, la préciosité de certaines pierres ou de certains métaux. Leurs surfaces mystérieuses, volatiles et attrayantes semblent vivantes et provenir d’une autre planète.

Artiste de la séduction et de l’exploration matérielle et formelle, Philippe Caron Lefebvre nous projette au centre d’un paysage paradoxal mi-naturel et mi-artificiel, où le visiteur devient le protagoniste d’un récit fantastique. Thanatopsis semble nous placer simultanément sous de favorables et de funestes auspices. Si l’artiste semble présager par cette mise en scène un monde en proie à l’instabilité, voire même à l’extinction, il rappelle aussi que les éléments et les structures qui peuplent notre environnement résistent et s’adaptent aux changements afin de subsister à travers le temps.

Par l’intermédiaire de la science-fiction et de la beauté et du déploiement des formes organiques et géologiques, Thanatopsis nous encourage à méditer et à repenser la nature environnante, l’évolution des vivants, l’obsolescence, la résilience et le futur.

Anne Philippon


 Philippe Caron Lefebvre est originaire des Laurentides. Il est titulaire d’un baccalauréat en arts visuels et médiatiques de l’UQÀM et termine sa maîtrise en pratique sculpturale à l’Université Concordia. Ses œuvres ont été diffusées dans différents centres d’artistes et galeries au Québec ainsi qu’au Mexique. En 2013, il reçoit deux distinctions : lauréat de la bourse Jeunes artistes en arts visuels des Laurentides et une bourse de recherche et création du Conseil des arts et des lettres du Québec. En utilisant plusieurs médiums, il s’attarde à la notion d’évolution et tout particulièrement aux mécanismes de survie dans la nature, chez les plantes et les animaux et autour du statut archéologique de l’objet sculptural à travers l’histoire. Il s’intéresse également à la façon dont les systèmes qui nous entourent s’articulent, en créant des œuvres où il y a relation au pouvoir. Que ce soit par la représentation d’un statut d’autorité ou par la représentation symbolique de force défensive, cette correspondance au pouvoir cherche à altérer notre perception de l’œuvre et même plus, c’est-à-dire la relation que nous avons avec notre environnement. Il réunit ses œuvres dans un même espace d’exposition, afin de créer un dialogue entre les différents médiums, à travers une mise en scène rassemblant l’atelier industriel, le musée d’histoire naturelle et un univers de science-fiction dystopique.

Anne Philippon détient un baccalauréat en études cinématographiques de l’Université de Montréal et un baccalauréat en histoire de l’art de l’UQAM. Elle est également titulaire d’une maîtrise en études des arts de l’UQAM. Son mémoire portait sur la réactualisation du motif de la vanité dans la pratique artistique contemporaine. Très impliquée dans le milieu des arts, elle assure la coordination de projets pour des artistes en art contemporain. Elle contribue aussi, à titre de critique, à diverses revues québécoises consacrées à l’art contemporain. Depuis 2010, elle a entre autres travaillé à la Galerie de l’UQAM et à l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC).