Traces et linceuls
- Jannick DESLAURIERS
Prendre un recul qui rapproche, tendre un voile révélateur pour comprendre le monde, notre monde, voilà ce qui nous est proposé ici. Une fois dématérialisées, les productions humaines composent un nouvel alphabet de signes étranges, comme des cercueils de sens où s’écrit notre absurdité. Dans cette translucidité, certains objets nous sortent de notre indifférence. Comme si, une fois vidés de nous, ils nous tenaient un langage nouveau, inédit, comme si leur transparence nous procurait une singulière lucidité sur nous-mêmes. Dans cette épiphanie qui tient autant du fantôme du passé que du spectre de l’avenir, nous pouvons regarder en face nos machines de guerre et de souffrance et tous les dispositifs techniques que nous avons fabriqués pour mettre au joug les forces de la terre et, partant, notre propre humanité. Les apparences trompeuses ne sont plus à dénoncer comme appartenant à un au-delà improbable, c’est ici et maintenant qu’il nous est donné de les apercevoir. Il nous faut pour cela les détacher de notre quotidien, leur inventer une scène, pour que se joue pour nous, sans nous, la fable de notre destin et de notre avenir.
L’oeuvre de Jannick Deslauriers se veut la traque et le déchiffrement des signes que les hommes sèment sur leur passage, sans toujours s’apercevoir de leur propre écriture. Le regard de l’artiste déplace le sens des choses en les faisant devenir fantômes et momies, traces et linceuls. C’est en disloquant le réel qu’elle arrive à le faire parler autrement. En expulsant la matière des formes habituelles, elle fait basculer le sens ordinaire des choses. C’est une oeuvre d’inquiétude, certes, mais aussi de fascination. Ce qui était banal devient extraordinaire, ce qui servait l’obscur dessein de la violence se met à briller dans la lumière diaphane de la fragilité. Une oeuvre d’intranquillité qui nous fait en découdre avec le fil de l’histoire.
Christiane Gauthier
Jannick Deslauriers est née en 1983 à Joliette. Elle vit et travaille à Montréal et enseigne les arts plastiques au Cégep Marie-Victorin.
Après avoir complété ses études en arts visuels à l’Université Concordia, elle réalise plusieurs expositions solo dont Champ de bataille en 2009 à la galerie SAS (Montréal) et Ce qu’il reste en 2010 à la galerie Whipper Snapper (Toronto) ainsi qu’à l’Écart (Rouyn- Noranda). Elle participe aussi au concours international d’artistes émergents Impusle de la Foire d’art contemporain Pulse New-York en 2009. Son travail sera présenté au printemps 2011 au Musée d’art de Joliette.
L’artiste tient à remercier le Conseil des arts et des lettres du Québec pour son soutien à la réalisation de cette exposition.