Tremble

  • Patrick BEAULIEU
du 18 octobre au 15 novembre 2008

La résurrection est une idée toute naturelle; il n’est pas plus étonnant de naître deux fois qu’une.

Voltaire

C’est primordial, une question de vie ou de mort. C’est un frémissement qui ébouriffe le plumage d’un merle, lorsque la fraîche se fait coulis entre les branches. C’est cette impulsion qui anime les êtres vivants, qui les pousse à combattre les éléments. Et à avancer, simplement et toujours. Avancer.

Glanés sur les trajectoires migratoires des oiseaux au long cours, les plumes et autres artefacts collectés par Patrick Beaulieu ont été triés sur le tas pour leur capacité de témoigner d’une certaine vie antérieure. Il s’agit d’éléments fragiles qui ont fait preuve d’une force incroyable de leur vivant, ayant affronté les rigueurs du climat, s’étant joués des frontières autant que de l’épuisement, ou ayant tenu bon même sous les vents les plus déchaînés.

Avec les différents projets rassemblés pour l’exposition Tremble, l’artiste tente de répondre à l’éphémère en réinsufflant aux éléments récoltés ce frisson qu’on attribue aux manifestations de la vie. La matière qui naguère fut vive comporte essentiellement toutes les propriétés vibratoires qu’il suffit peut-être d’actualiser. C’est le pari de l’oeuvre de Beaulieu, qui éprouve la matière sculpturale par différents procédés mécaniques – micro ventilateur, moteur rotatif, basse fréquence inaudible transmettant une vibration.

L’artiste n’a pas la prétention de recréer la vie, mais le mouvement qu’il impose à la plume, la branche, la feuille ou l’aile exerce invariablement sur le visiteur un pouvoir de fascination étrange. Il y a dans ce frisson le rappel hypnotique d’une vie passée, comme si dans l’objet subsistait une mémoire du vif que l’artiste s’appliquerait à ressusciter.
Alors que la mort est réputée cristalliser l’être, le revif résultant du travail de l’artiste biaise notre perception de la matière. En la réanimant, le mouvement transforme cette matière, si bien qu’il devient impossible de la fixer véritablement. L’artiste exploite ainsi les limites du regard, incapable de saisir tout à fait ce qui lui est présenté, trompé par la libration effrénée de ces corps, terrestres ou aériens.

La précision des chorégraphies imposées aux différents éléments naturels des installations propose toutefois quelques amorces de définition, provoquant un vertige dont l’expérience n’est pas étrangère à l’oeuvre en soi. Par exemple, le ralentissement subreptice du mouvement giratoire des plumes de l’oeuvre « Battements » laissera une impression vague, voire étourdissante, de la matière. Sans véritablement se révéler, l’élément ne sera plus filtré par cette illusion d’une épaisseur que lui impose le moteur rotatif. Dans ce spasme d’arrêt, cette retenue sensible, le spectateur n’aura pour certitude que son incapacité à définir avec précision ce qui s’offre à sa vue.

Comme la globalité du travail de Patrick Beaulieu, dont la forte cohésion repose sur un indéniable respect pour le vivant et le mort, cette évocation de l’insaisissable rappelle une immatérialité qui sourd du corps/objet. Il y a cette frange évanescente qui en émane.

Par cette réintroduction de l’indicible dans le code de tout être vivant, on approche peut-être plus que jamais de ce mystère qui fascine et interroge, celui du seuil intangible entre la vie et la mort.

Jean-François Caron


Les installations de Patrick Beaulieu contiennent des fragments de paysage animés par différents dispositifs électroniques, lumineux et mécaniques qui affectent la sensible matière exposée. Ces oeuvres scintillent et tournoient révélant des formes hybrides à mi-chemin entre le vivant et la matière inerte. Que ce soit par la suggestion de précarité de ces installations ou par l’observation de leur transformation, jamais ici la matière n’est en repos.

Le travail de Beaulieu a été présenté lors d’expositions solo au Mexique (Centro de la Imagen / Centre National des Arts, Mexico Cité, Musée d’Art Contemporain, Morelia, Mexique, 2006 et 2008.), à Singapour (Plastique Kinetic Worms Center, 2001 et 2006), en Belgique (Experimental Intermedia vzw, Gand, 2005), aux États-Unis (Fugitive Project, Nashville, 2007) ainsi qu’au Canada (Galerie Art Mûr, Montréal, Maison de la Culture Notre-Dame-de-Grâce, 2007., Centre d’Exposition CIRCA, 2004.). Ces oeuvres ont été diffusées lors d’expositions et événements en Corée (Gwangju Biennale), en Belgique (Voorkamer), au Mexique (Galeria Nina Menocal), à Singapour ainsi qu’au Canada (Fonderie Darling, Banff New Media Institute…).

Porfolio de l’artiste en ligne 

Article de Jérôme Delgado dans Le Devoir le 25 octobre 2008