Vive la nature morte

  • Éric LAMONTAGNE
du 12 avril au 10 mai 2003

On entre par infraction dans l’œuvre d’Éric Lamontagne, par la déchirure de la peinture, déchirure-îcone chère à Lucio Fontana. L’artiste puise aussi dans les préoccupations des artistes de Support-Surface des références à la peinture, à la matière, aux matériaux toile et pigment. Mais face à ces expériences abstraites de la couleur et de la forme que le groupe Support-Surface a menées pendant les années 70. Il provoque une autre déchirure en insufflant cette fois une figuration outrancière qui semble naître de la matière picturale et de la toile, s’étalant de façon inégale sur des grands formats puis envahissant l’espace dans une tridimensionnalité inattendue.

C’est avec un regard amusé sinon attendri que nous pénétrons dans un décor québécois familier où des trophées de chasse ou un crucifix semblent s’arracher à leur support dans une esthétique troublante, lieu abandonné où continue de brûler sur vidéo l’image d’un feu au fond d’un foyer. Vive la nature morte joue sur l’ambiguïté du sens même de la nature morte en confrontant le citadin avec l’idée d’une nature perdue qui ne peut être appréhendée qu’au travers d’une fenêtre ou d’un écran comme en témoignent les deux grandes toiles placées devant la baie vitrée de la galerie. La nature se trouve ainsi sacralisée sur des toiles/vitraux. La lumière naturelle passe à travers les pigments qui semblent s’enflammer et renforce son apparition dans l’espace de la galerie. La matière picturale prend une autre dimension : elle interagit avec les conditions climatiques et accuse ainsi le moment de la journée, temporalité lumineuse qui déjoue nos mécanismes de la perception. C’est d’ailleurs à ces jeux que l’installation se prête par des stratégies de trompe-l’œil efficaces qui mêlent les effets perceptifs aux jeux sémantiques qu’ils provoquent. C’est ainsi, aussi, que les fleurs du tapis jaillissent de la toile-tapis comme pour démontrer cette relation complexe entre le perceptif et le sémantique qui donne lieu à des expressions figées et sarcastiques, combinaison métaphorique que l’on utilise dans le langage parlé, créant de la sorte un jeu entre le dicible et le visible. L’artiste y révèle ainsi la prégnance du perceptif et réactualise en même temps l’icône-fleur, motif récurrent de la nature morte. Il entreprend un dialogue entre la nature disparue et la nature morte : celle-ci conservant la nature vivante à travers l’histoire de la peinture.

Dans une approche ludique, l’installation, qui comprend de la peinture, des éléments sculpturaux et de la vidéo dans un dispositif théâtral qui reconstitue un décor intérieur, est une anamorphose dont le processus agit à l’inverse des anamorphoses habituelles, c’est-à-dire que nous ne sommes plus dans la reconstitution de l’icône mais que les différentes icônes reconstituent l’idée de peinture et narrent l’histoire des disparus. L’artiste nous invite ainsi à l’intérieur d’une nature morte pour mieux comprendre les relations secrètes entre les choses et leurs processus d’apparition et de disparition dans une approche absurde qui n’est pas sans rappeler cette satire de Breton qui dit : « Qu’est-ce que l’avenir ? Un animal crevé sous un meuble. (Les Champs magnétiques, 1920)

Texte de Christine Palmiéri pour CIRCA art actuel.