Vœux

  • Marie-Claude BOUTHILLIER
du 16 janvier au 27 février 2016

La vie est ponctuée d’étapes qui permettent de traverser les âges, de cheminer intérieurement et de s’intégrer dans une société. Chacune de ces étapes constitue des passages que l’on qualifie d’initiation. Qu’elles soient tributaires d’un environnement tribal (clanique), religieux ou mystérique (magique)1, toutes suivent une structure narrative précise et similaire, d’où l’hypothèse de « parenté fondamentale2 » entre elles émise par Simone Vierne. Autrement dit, il existerait au niveau de l’imaginaire une structure archétypale à partir de laquelle s’actualise, dans la réalité tangible, un éventail de manifestations du liminal3, différentes dans leur forme, mais identiques dans leur essence. Avec Vœux, Marie-Claude Bouthillier exploite, dans une version personnelle, intime et introspective, ces temps et lieux de passage pour mettre en perspective une déclinaison de frontières. Dans l’exposition, la mise en récit de ces seuils provient d’une réflexion inspirée du couvent. L’artiste réinvestit dans un langage singulier certains éléments traditionnels, tels que la grille du parloir et le tissu amidonné des vêtements des religieuses, pour les donner à voir comme des marqueurs énonciatifs du liminal.

Ces deux éléments ont en commun une structure et une texture tramées qui ne sont pas sans faire écho à celles de la toile. Les réflexions de Marie-Claude Bouthillier sur le support de prédilection du peintre lui permettent, dans un travail de pli et de repli, de pousser le liminal à son paroxysme. C’est que la toile ne désigne pas uniquement le support de l’artiste. Elle lève le voile sur la vie des religieuses et sur leur univers de réclusion. Mais ici, la solitude inhérente à la réclusion n’est pas synonyme d’abandon, de confinement ou de détention; elle renvoie à une intimité révélatrice. D’ailleurs, l’isolement n’est pas forcément lourd. Il permet à la fibre du féminin de dialoguer avec celle du sacré pour donner forme et corps à un silence serein duquel peut jaillir l’insight ou l’illumination. Cette dernière ne doit pas être considérée uniquement du point de vue religieux dans le travail de Marie-Claude Bouthillier. L’illumination renvoie aussi à celle de l’artiste qui travaille dans le silence et l’isolement de son atelier pour créer une œuvre… son œuvre.

Dans l’exposition, c’est tout un processus qui se met en place à travers la profusion de grilles et de portes. Un processus qui délimite des frontières entre l’intérieur et l’extérieur, entre le séculier et le religieux ou encore entre le profane et le sacré. Et face à elles, chacun fait l’expérience de ses propres limites. Ce sont parfois des frontières que l’on voudrait, mais que l’on ne peut franchir; parfois des frontières que l’on devrait, mais que l’on ne veut pas traverser. Franchir la ligne, c’est passer à autre chose : c’est découvrir et se découvrir.

Émilie Granjon

1 Au début du XXe siècle, les ethnologues et historiens des religions, Arnold Van Gennep et Mircea Eliade en tête, ont établi des typologies permettant de les classer ainsi.

2 Simone Vierne, Rite, roman, initiation, Grenoble : PUG, 2000, p. 8.

3 Terme désignant un espace entre deux ou un lieu transitoire.

La pratique interdisciplinaire de Marie-Claude Bouthillier prend la forme de tableaux, de dessins, d’environnements picturaux et d’œuvres collaboratives. Depuis la fin des années 80, on peut voir régulièrement son travail au Québec et à l’étranger, dans des expositions individuelles et collectives. Ses œuvres sont sélectionnées pour des projets collectifs dans les grandes institutions québécoises, dont le Musée d’art contemporain de Montréal et le Musée national des beaux-arts du Québec. Depuis 2010, elle a exposé à Sporobole, à Optica et à la Centrale Galerie Powerhouse. En 2013, elle présente Familles au Musée McCord, et participe aux expositions Loin des yeux près du corps et Le projet peinture à la Galerie de l’UQAM. En 2015, elle participe à l’exposition ELLES aujourd’hui. Six artistes peintres québécoises et canadiennes, commissariée par Marie-Ève Beaupré au Musée des beaux-arts de Montréal. Marie-Claude Bouthillier est lauréate du Prix Louis-Comtois 2011 et du Prix Ozias-Leduc 2013. Elle détient une maîtrise de l’Université du Québec à Montréal (1997). Elle vit et travaille à Montréal.

Émilie Granjon est directrice du centre d’artistes autogéré montréalais CIRCA art actuel. Également, chercheure en sémiologie visuelle et commissaire indépendante, elle est titulaire d’un doctorat en sémiologie (UQAM, 2008). Dans le cadre de sa thèse, elle a orienté ses recherches sur la sémiogenèse de la symbolique alchimique de l’Atalanta fugiens (1617) et a publié Comprendre la symbolique alchimique (PUL : Québec, 2012). Portant un intérêt à l’art actuel, elle a co-écrit avec Fabienne Claire Caland le livre intitulé Les cinq fabricants d’univers : David Altmejd, Shary Boyle, Rosalie Gagné, Laurent Lamarche et Véronique La Perrière (Nota Bene : Montréal, à paraître en 2017). En 2014, elle a commissarié avec Lysette Yoselevitz, sous l’égide d’ARPRIM, l’exposition collective et itinérante L’art imprimé : entre mixité et hybridité au Musée national de l’estampe de Mexico. L’exposition a également été présentée au Centre des arts de Guanajuato et au Musée San Pedro de Puebla. En 2016, elle a monté l’exposition collective Espace imprimé, espace ouvert qui soulignait les 50 ans de l’Atelier Graff à la maison de la culture du Plateau-Mont-Royal de Montréal.