Aires d’apaisement

  • Paméla LANDRY
du 10 septembre 8 octobre 2005

Cigognes et autres petits êtres gigotants

Le regard que je porte sur les oeuvres leur investit souvent d’étranges affects, surtout lorsqu’il s’agit d’objets insolites, mous, à statut ambigu, (r)appelant souvent un monde de sensations familières plutôt que des référents iconiques précis. Indépendamment des degrés de lecture que je puisse leur enjoindre, les objets auraient sur mon imaginaire cette qualité figurale de m’adresser la parole ; entonnant le chant des sirènes, les objets happeraient le moindre de mes réflexes dans le dessein précis de m’atteindre. À leur approche, dupé par ces sensations troubles, fragiles et intimes, je reste subjugué par tant d’à-propos, par cette force attractive, cet ascendant qu’ont certains objets sur mon négoce avec la représentation. Ce sont des objets, peut-être, mais également des voix, des allures, des postures ; j’en ris, j’en suis touché, ému, restant parfois interdit devant tant d’habileté, tant d’adresse justement, sachant que ces objets ont été créés par des pairs, qu’ils sont issus d’une vision dont le cheminement répercute en moi son mystère en un long silence soumis à l’éloquence d’une voix, d’une expression sensible qui me relie et déferle en moi de façon magnanime. Cet élan, cette sensation déferlante, c’est l’enthousiasme, que jadis Glenn Gould a magnifiquement décrit comme « […] le don le plus important qu’une personne puisse effectuer à l’égard d’une autre […] ».

Malgré cet enthousiasme, chez moi chaque fois manifeste et vierge devant l’objet, je ne souscris qu’à la ferveur que m’enjoint l’éloquence vive de certaines oeuvres, quand l’art dit tout silencieusement et se tait bruyamment, comme m’en témoigne, depuis des années, la recherche de Paméla Landry. Peuplées d’entités ludiques aux déterminismes socio-affectifs, les oeuvres de Paméla Landry exposent avec une véracité et une force patiente les tabous et les enjeux de nos relations humaines. Ses entités souvent groupées en petits parcs d’attractions, se composent d’objets que l’on pourrait assimiler à des bornes d’émissions qui rayonnent et débordent largement le consensus visuel de leur morphologie. Presque fétiches, ces objets aux relents de critique sociale fouillent la sujétion de nos comportements individuels et collectifs par le biais de la suggestion lyrique plutôt que par froideur impérative, entremêlant étude du rapport à l’autre et autocritique.

Déjà entrevue en 1997 avec Tes yeux, tes reins, tes mains, ta bouche, mais véritablement affirmée en 2001 avec Centre de la caresse, l’artiste approfondit l’exploration de ses « machines à investissement d’affect », dont Aires d’apaisement est la suite et l’héritière directe. Ici, l’approche actuelle de ses « machines » ( dérivé féminin de machins ) se présente de façon beaucoup plus détachée que dans Centre de la caresse, on nous y convie à une aire de retraite, où les objets répondent à notre présence par douces saccades et contrepoints, sans contact tactile ni vocal. Les trois groupuscules de petits êtres ludiques qui composent Aires d’apaisement, répartis dans la salle en aréopage gigotant sous la vigilance non moins frétillante d’un îlot central en surplomb, amorcent à leur abord de légers mouvements et d’impromptus sautillements, sorte de vrombissements ténus brassant leur gangue, jouant entre liberté de mouvement et statisme de la retenue. Sous la tension des ressorts, leur gaine prolonge un dispositif technique d’ancrages, de fils électriques et de senseurs électroniques, visible mais sans surcharge, harmonieusement intégré et fondu à l’aria du plafond. L’introduction de couleurs vives, quasi criardes, rares dans les oeuvres antécédentes de Paméla Landry, provoque un étrange oxymore en regard de son titre, Aires d’apaisement ; mais loin d’hérisser l’oeil, la couleur ici appuie la notion de ludisme, fait figure d’enchantement et nous rend familières ces entités étranges et curieuses que l’on ne rencontre qu’au détour de certains ateliers.

Marc Desjardins


Née à Edmunston, Nouveau Brunswick en 1959
Vit et travaille à Montréal

Expositions solo

2005 The Hugging Centre, YYZ, Toronto, Ontario
2002 Under my Skin, Artcite, Windsor, Ontario 
À tes yeux, Vieux Palais, St-Jérôme, Québec 
Centre de la caresse, Optica, Montréal, Québec
1999 Tes yeux, Richmond Art Gallery, Colombie Britannique
1998 Abrégé, Galerie de l’UQAM, Montréal, Québec
1997 Tes yeux, Galerie B-312, Montréal
1995 Étal, Espace Virtuel, Chicoutimi, Québec
1992 Galerie GAUM, Université de Moncton, N.B.
1991 Galerie B-312, Montréal, Québec
1990 Langage Plus, Alma, Québec
1998 2nd Story Gallery, Calgary, Alberta
1987 Espace Virtuel, Chicoutimi, Québec

Expositions de groupe

2005 Anima, G-39, Cardiff, Grande-Bretagne 
The Hugging Centre, Forest City Gallery, London Ontario 
Comfort Studies, The New Gallery, Calgary, Alberta
2004 Arpenter l’ïle, Montréal vues singulières, Galerie B-312, Montréal, Québec
2003 Le ludique, Musée d’art moderne de Lille Métropole, Villeneuve d’Ascq, France 
You Gotta Move, Art Gallery of Southwestern, Manitoba
2002 Machines festives, Oeil de poisson, Québec
2001 Le ludique, Musée du Québec, commissaire Marie Fraser 
Machining in the Digital Age, Bricoleur Urbane, Open Space, Victoria, Colombie Britannique
1999 Figures humaines, Maison de la culture Maisonneuve, Montréal, Québec 
L’ailleurs est ici, Galerie l’oeuvre de l’autre, UQAC, Québec 
Machines festives, La Centrale, commissaire de l’exposition et exposante 
Fantaisies corporelles, Galerie Sans Nom, Moncton, Nouveau-Brunswick

Article de Hélène Lord dans Espace Sculpture, #75, 2006

Article de Mathieu Ménard dans Le Délit Français, Université Mc Gill, 27 septembre 2005 :

Site internet de l’artiste