Alchimie Boréale, Les ermites
- Vicky SABOURIN
Depuis quelques années, Vicky Sabourin tire son inspiration de l’univers des contes et des mythes, qu’elle se réapproprie en incarnant les héroïnes féminines principales au centre de ces histoires : Diane Chasseresse, Pénélope, Le Petit Chaperon Rouge, et peut-être moins directement, Boucle d’or. Alors que la référence initiale à une péripétie connue lui évitait de devoir la raconter pour contextualiser ses performances et installations, Alchimie Boréale, les ermites, reposant principalement sur une anecdote familiale qui a bercé son enfance, s’inscrit dans un espace narratif moins directif, donc plus ouvert aux projections des spectateurs. L’histoire veut que son père, allant à la rencontre de deux frères, C. et A., qui s’étaient enfuis afin d’échapper à la conscription de 1944 et vivaient clandestinement dans les bois grâce à l’aide de leur mère, ait été menacé par ces derniers. Afin de confronter son imaginaire d’enfant à la réalité, Sabourin est retournée sur les lieux avec son père – tout à coup beaucoup plus nerveux que dans son récit initial. Elle n’y a découvert que des traces de la fondation témoignant de la cabane originale, et quelques objets oubliés, la forêt boréale et ses rongeurs ayant tranquillement repris leurs droits sur ce territoire.
Véritable mise en scène évoquant un diorama dans lequel, exceptionnellement, le spectateur est appelé à entrer et à circuler, l’œuvre immersive mêle plusieurs pistes narratives servant d’appui à l’artiste pour ses 25 jours de performances, pendant lesquels elle habite les lieux de l’ouverture à la fermeture du centre d’artiste. À la manière des deux frères ermites, sorte d’anti-héros qu’on imagine paranoïaques quant aux aventureux pouvant les dénoncer qui s’introduisaient sur leur territoire, Sabourin, chez-elle dans l’espace aménagée de sa salle, engendre par sa présence un sentiment d’inconfort, de tension chez le visiteur, ne sachant trop s’il est ou non le bienvenu. Simple témoin ou véritable acteur, c’est à lui de décider jusqu’à quel point il a envie de s’engager dans ce lieu et d’interagir avec le personnage féminin qui s’y trouve, amalgame des figures de la mère, des deux frères et de la petite fille fabulant à partir d’épisodes qu’on lui a racontés.
Reconstruction plus que reproduction, l’espace ne cherche pas à se substituer à la réalité, objectif avoué des vitrines de musée d’histoire naturelle qui nécessitent des recherches exhaustives et un souci du détail remarquable pour leur création. Bien que Sabourin se soit abondamment documentée sur divers aspects liés à ce projet, son choix de faire se côtoyer le vrai et le faux en rassemblant, entre autres, des champignons façonnés selon des échelles non naturalistes mais d’après des images de spécimens réels, peints ou laissés dans un état brut, de la mousse véritable, des feuilles mortes cueillies, numérisées en couleur et en noir et blanc, puis patiemment découpées, des souris en feutre ou d’authentiques branches d’arbres et d’autres en papier mâché, souligne l’étrange emprise de la fiction sur la mémoire, où elle s’infiltre pour enjôliver certains détails au détriment des autres. Il s’agit ainsi d’un espace-temps improbable, hors du réel, que l’artiste propose puisque, par exemple, les pleurotes de l’olivier, chanterelles, clavaires blondes et coprins noirs d’encre qui s’y côtoient ne poussent pourtant pas aux mêmes saisons. L’installation, qui incorpore des objets utilisés dans d’autres de ses performances, s’insère également dans la temporalité propre à la mythologie personnelle de l’artiste, ce qui transforme en quelque sorte ses œuvres en des chapitres articulés par une trame narrative souterraine, les reliant par-delà le temps.
Anne-Marie St-Jean Aubre
Vicky Sabourin vit et travaille à Montréal où elle termine sa maîtrise en arts visuels à l’Université Concordia. Son travail a été présenté en galerie et dans plusieurs centre d’artistes au Canada, au États-Unis, en France, en Italie, ainsi qu’au Portugal. En 2012, elle exposa trois installations au sein de l’exposition Faire comme si… présentée au Musée régional de Rimouski. Vicky Sabourin a participé à plusieurs festivals de performance en Amérique du Nord, parmi eux : la Biennale d’art performatif de Rouyn-Noranda, le Festival de théâtre de rue de Lachine et Contaminate 3 Live Art Festival de Boston. Elle est lauréate du Dick and Gretchen Evans Schorlaship ainsi que récipiendaire d’une bourse du CALQ .
Sabourin allie installation et performance afin de créer des tableaux vivants de longues durées. La mythologie entourant son travail est un métissage entre les contes, histoires et légendes issues de son identité familiale, de la mythologie grecque et de son univers personnel.Elle construit des images qui stimulent la mémoire et l’imaginaire des spectateurs en utilisant la séduction et le désir pour évoquer une forte réponse émotive.