Aménagements

  • Julie MORAZAIN
du 24 novembre au 22 décembre 2007

Une certaine esthétique industrielle fait désormais partie intégrante de notre paysage quotidien. Que l’on pense aux développements urbains où se succèdent des générations de maisons préfabriquées, aux rayons kaléidoscopiques des grandes surfaces commerciales, ou même aux forêts d’épinettes bien rangées, il peut sembler que le monde actuel ne procède plus au singulier mais sous un mode sériel, industriel.

Le projet Aménagements origine du constat que tout ce qui nous entoure est de plus en plus conçu et fonctionnalisé préalablement par l’industrie. Pourtant, alors qu’évoluent à un rythme effréné des technologies dont, par habitude, on ne mesure même plus le génie, un fossé semble s’être creusé entre l’individu et son environnement, l’empêchant d’agir directement dessus, de se l’approprier. Cet Autre à travers les mains duquel sont passés les différents objets qui meublent notre quotidien serait-il devenu indispensable? Serait-il devenu l’interface nécessaire entre l’individu et le monde?

En effet, dans une société où l’industrie règle la plupart des paramètres de notre vie, notre rôle individuel se réduit souvent à effectuer des choix à l’intérieur de registres balisés par les standards du marché. On le sait, l’acte de consommation relève de cet unique pouvoir : celui d’effectuer un choix, de sélectionner un item plutôt qu’un autre. En ce sens, on suppose aussi que chaque objet sériel est destiné à trouver sa place dans une existence singulière où il deviendra, parmi d’autres, la figure constitutive d’une intimité, d’une individualité.

Imprégnée du sériel, la pensée qui nous est contemporaine participe d’un modèle conceptuel basé sur un principe d’équivalence. À l’inverse d’une idéologie qui ordonnerait toute chose en fonction d’un système de valeur, les différents termes qui composent une série se juxtaposent sans ordre hiérarchique. Tout en répondant à un certain besoin d’organisation, l’ordre qu’elle propose répartit les objets en catégories sans pour autant en proposer une synthèse, se contentant d’actualiser les possibilités que leur offre la loi régissant leur regroupement. Ainsi, les registres de choix que propose l’industrie tirent profit de variations subtiles que présente une ligne de produits où chaque détail, sans s’arracher au reste, apparaît comme la marque délicate d’une intention spécifique, d’une personnalité.

S’inspirant d’éléments architecturaux, de meubles ou autres objets constitutifs de l’univers intime du foyer, Aménagements tente d’esquisser les contours fragiles de l’individualité et la relation complexe qui lie l’individu à son environnement. Dans cette exposition, les objets sont à la fois symptomatiques d’un mode de production industriel et d’une action ou d’un moment dont la singularité vient fracturer cette logique récursive. Ici, le sens de l’oeuvre n’est pas produit spécifiquement en fonction de la valeur symbolique des éléments représentés, ce qui peut déstabiliser un spectateur tenté de voir en chaque objet une invitation à pénétrer une signification univoque. Ce sont plus souvent les écarts entre ces objets et leur référent qui m’intéressent : le point de rupture où l’objet s’affranchit d’une signification ou d’une fonction surfaite pour donner à voir le déplacement qu’il a subi, le geste qui l’a ouvré, le temps d’un travail en gestation où le sens apparaît à l’état brut, dépoli.

Julie Morazain


Julie Morazain est titulaire d’un Baccalauréat de l’UQAM et d’une Maîtrise de l’Université Laval pour laquelle elle a remporté le Prix René Richard. Ses oeuvres ont notamment été présentées à la galerie Le 36 et la Galerie Rouje (Québec), de même que lors de différents événements d’art public dont Espace Blanc, organisé par le centre d’artistes Caravansérail (Rimouski) et Pique-Nique (Lac des Castors, Montréal). Récipiendaire d’une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec, elle présentera aussi sous peu une installation hors-murs à Rimouski. Elle vit à Saint-Marcellin et enseigne depuis 2002 au Cégep de Rimouski. 

Dans ses sculptures, l’artiste utilise la représentation d’objets ou d’éléments architecturaux familiers pour ébranler nos habitudes de récognition et questionner notre manière d’appréhender ce qui nous entoure. 

Article de Christine Vincent dans Espace Sculpture, #84, 2008