Apprivoiser l’espace

Commissaire : Lalie Douglas
  • Karilee FUGLEM, Renée LAVAILLANTE, Max STREICHER
du 06 avril au 04 mai 2013

Pour mon premier projet de commissariat au Circa, j’ai choisi trois artistes dont les travaux m’ont interpellés et accompagnés au cours des années. J’ai choisi ces artistes pour leur façon bien personnelle de définir, interpréter et occuper l’espace, et de le faire avec une grande économie de moyens, littéralement et conceptuellement.

Dans son installation The Bear (in Smoke) de 2009, Karilee Fuglem construit un ours fantomatique à l’aide de fils de polyester. L’oeuvre, une accumulation d’un matériau quasi invisible, émane à l’origine de la position (relativement) fixe des étoiles de la constellation de la Grande Ourse dont l’artiste souligne le contraste avec les changements rapides de l’histoire humaine. Ici, et comme dans tout son travail, on perçoit une tentative de capturer des choses quasi imperceptibles, des choses qui ne se découvrent entièrement que lorsque le spectateur pénètre physiquement l’espace et que les fils translucides, jusqu’ici invisibles, ne se soient révélés au contact de la lumière.

Deux projets apparentés de Renée Lavaillante, Observations depuis l’atelier de verre (Projet de Strasbourg, 2001) et Percorsi romani, créé en 2005 durant une résidence à l’atelier de Rome, consistent en de petits dessins au graphite qu’accompagne une projection vidéo. Tels des motifs de dentelles, les traits au graphite de ses dessins traduisent son observation du déplacement de personnes sur de grandes places publiques. Le paysage et la topographie se précisent également alors que l’accumulation des lignes tracent les allées d’un parc à Strasbourg et, dans le cas de Percorsi romani, révèlent le contour de sites de temples romains.

Les dessins de Renée Lavaillante, qui ont plus en commun avec le mécanisme des relevés scientifiques qu’avec la représentation artistique historique, permettent de mieux comprendre les grands espaces ouverts et l’historique des places publiques.

Quoique ayant peu en commun avec les subtils détails de Fuglem et de Lavaillante, le frappant travail de Silenus (en référence au tuteur enivré de Bacchus dans la mythologie grecque) utilise un minimum de matériel pour produire une forme imposante. Constituée uniquement d’une fine membrane de voile de spi gonflée d’air, l’oeuvre prend forme en vertu des propriétés d’un matériau invisible. Le cycle intermittent de la pompe à air donne l’illusion que Silenus respire et qu’il fait de pénibles efforts pour se relever du sol. L’oeuvre fait partie d’un large corpus dans lequel Streicher explore les possibilités formelles et conceptuelles des formes gonflées. Quoique assez imposant, Silenus, une fois dégonflé, se glisse dans une petite valise.

Ce n’est pas une coïncidence si, dans leur travail respectif, les trois artistes fontréférence à la mythologie. Streicher fait appel au mythe de Bacchus, Fuglem se réfère aux constellations et Lavaillante situe son Percorsi romani parmi les ruines de temples romains. Alors que ces artistes utilisent les moyens à leur disposition pour cerner, définir, et comprendre les espaces physiques et temporels, ainsi nos ancêtres utilisaient-ils la mythologie pour donner un sens au monde qui les entourait et aux cieux au dessus d’eux. Dans leur travail, Fuglem et Streicher étudient également les propriétés physiques et formelles des textiles à travers l’enchevêtrement systématique du fil dans The Bear, si similaire à la technique du crochet, et jusqu’à l’utilisation des propriétés enveloppantes du textile découpé et cousu par Streicher. Les oeuvres ont également en commun la propriété du textile à être déployé ou plié ou/et à être présent un moment puis, l’instant suivant, replié et rangé. Pour mettre ces particularités en évidence le Circa a choisi de présenter ces oeuvres dans le cadre de la programmation de En Avril… Fibre/Textile/Art, une célébration de l’art textile contemporain d’une durée de un mois.

Lalie Douglas


Le travail récent de Karilee Fuglem utilise l’accumulation de fins monofilaments pour occuper et définir l’espace. Ses oeuvres ont habituellement une dimension historique reliée aux particularités des lieux qui accueillent ses installations. Ces installations se concentrent sur des modifications à long terme des paysages, sur les changements de la position des constellations au cours des siècles, sur des changements topographique et de l’environnement bâti aussi bien que sur les changements politiques et sociaux. Ses oeuvres, qui peuvent occuper de grands espaces, sont fréquemment fabriquées d’une quantité négligeable d’un même matériau et sont souvent quasi invisibles au premier coup d’oeil. Karilee Fuglem a exposé régulièrement à travers le Canada et a participé à des événements tels la Biennale de Montréal et la Biennale de sculpture.

Site de Karilee Fuglem

Renée Lavaillante produit particulièrement des oeuvres à partir de simples techniques du dessin. Son travail explore différentes façons d’enregistrer des événements par le dessin et peut s’intéresser au mouvement de personnes à travers l’espace au cours des temps et ce, en tant qu’éléments de chance comme dans la tradition Cagienne. Le corpus d’oeuvre choisi pour cette exposition est constitué de séries de dessins produits dans l’atelier de verre de Strasbourg et sur le site du Forum Romain. Dans les deux séries, le crayon de l’artiste est délicatement utilisé pour mémoriser le tracé du déplacement des gens à travers un lieu pour finalement constituer un enregistrement qui définit un espace et ses obstacles. Son type de dessin est extérieur à l’évolution historique du dessin comme moyen de dépeindre un sujet en perspective et est plus précisément relié à un marqueur scientifique qui permettrait d’enregistrer des événements. Renée Lavaillante vit à Montréal mais beaucoup de ses oeuvres sont issues de ses résidences et notamment au Studio du Québec à Rome et l’atelier de verre du Centre européen d’actions artistiques contemporaines de Strasbourg. Son travail de dessin, complexe et conceptuel, apporte une contribution intéressante à cette exposition.

Site de Renée Lavaillante

Le travail de Max Streicher fait appel à des formes gonflées fabriquées de membranes de tissus ultra-fins minitieusement découpées et assemblées. Les oeuvres représentent souvent des formes humaines, parfois de très grandes dimensions, et leurs titres se réfèrent à l’ancienne mythologie romaine. Des souffleurs gonflent les formes en leur donnant un aspect évocateur, le lent mouvement de l’inflation et de la déflation rappelant l’éveil et le déclin de la vie. L’usage qu’il fait du gonflement de formes se situe parmi les plus étonnant qu’il m’a été permis de découvrir et fut en fait, le déclencheur de ce projet. Silenus, l’oeuvre choisie pour cette exposition, est une oeuvre imposante; elle représente une forme humaine assoupie, mesure 6 mètres de long, touche au plafond de la galerie et crée ainsi un décalage d’échelle et de perspective pour le visiteur qui se tient à proximité. Cette oeuvre, quoique impressionnante par son échelle et la recherche de ses matériaux, est cependant la plus accessible pour le public et de nature à attirer un grand nombre de visiteurs à l’exposition.
Max Streicher habite Toronto.

Site de Max Streicher

L’artiste montréalaise Lalie Douglas crée des objets, des installations et des performances qui questionnent nos attentes sur le façon dont l’art devrait se comporter ainsi que sur les règles du jeu qui prévalent tant dans les galeries que dans les espaces publics. Elle a exposé dans sa province d’origine le Québec ainsi que sur la scène internationale. Ses plus récents projets incluent The Corner of you Eye (Neutral ground, Regina 2011), Stories of the Sky Told Underground (Art Souterrain Montréal 2011), Take Your Fears Away (Calgary et Montréal 2009). Elle sera en résidence au 3ème Impérial cet automne. Son travail a reçu l’appui du Conseil des arts du Canada. Elle détient un MFA de l’Université Concordia à Montréal. Lalie Douglas a exposé des oeuvres faisant appel aux techniques spécifiques aux textiles mais également à des matériaux plus traditionnels. Elle a fait des recherches sur l’histoire du textile dans le cadre de ses propres projets et poursuit dans ses oeuvres une réflexion sur la rencontre de l’art et des métiers d’art, une notion sous-jacente à ces médias.