Ascension

Vernissage le 31 mai
  • Amélie BRISSON-DARVEAU
du 31 mai au 12 juillet 2014

Itinérance et pensée matérielle : Ascension d’Amélie Brisson-Darveau

Qu’est-ce que la pensée matérielle?  Qu’entend-on par : faire confiance aux matériaux, suivre leurs voies itinérantes, les plier, un à un, les uns dans les autres? Plutôt que de se pencher sur leur caractère romantique ou de proclamer leurs qualités contingentes, les matériaux nous font penser, et par le fait même, nous laissent ressentir.  Le travail d’Amélie Brisson-Darveau expose une forme de pensée matérielle en suivant les matériaux avec une grande persévérance.  Par contre, il n’y a rien d’obsessif à cette pratique; et il n’y a pas non plus le désir d’imposer une volonté sur la matière. Au contraire, les matériaux y deviennent la propre zone d’un double processus d’exposition : d’une part, en montrant leurs qualités esthétiques spécifiques à travers le médium de l’installation et, d’autre part, en permettant aux matériaux de développer leurs propres relations et leurs propres structures de signification possibles.  La pensée matérielle évoque ainsi des processus de formation inhérents aux états physiques, vitaux et mentaux et expose leurs affinités de manière itinérante.

Dans Ascension, l’itinérance devient une technique pour activer les rencontres entre les matériaux, exposant des concrétisations profondes et significatives.  En se plaçant au même niveau que les matériaux, Brisson-Darveau s’investit dans un jeu de structures et de textures; le relais crucial entre différentes géographies, capacités physiques, nature et culture.  Les textiles et les vêtements deviennent des moules dynamiques pour la porcelaine blanche d’origine suisse, imprimant de fines et subtiles textures sur des structures ressemblant à des os, et ce, à travers le labeur manuel d’étirements, de pressions et de torsions. Ce qui apparaît d’abord comme des céramiques anamorphiques, concerne plutôt l’omniprésence des murs d’escalade artificiels de la Suisse urbaine, des terrains de jeu au boulder dans les parcs publics et centres d’escalades géants.  Ces environnements artificiels, qui imitent souvent des parcours d’escalade célèbres dans les Alpes, témoignent de la relation entre corps, roche, mouvements et différentes géographies.  Par ces faux murs, nous percevons comment la capacité de ressentir du corps humain peut faire tomber les frontières entre les matériaux vitaux (humain) et physiques (roche), et ce, à travers une pratique de mouvement.

Tracer les mouvements du corps en relation avec l’environnement naturel et les constructions fait partie intrinsèque de la pratique d’Amélie Brisson Darveau –  le rapport intime entre corps et architecture mis en scène à travers les propriétés matérielles des matières textiles. En ce sens, l’artiste conçoit le corps humain et son environnement comme des entités se produisant mutuellement. L’installation Ascension en fait état par la relation matérielle. Les différentes teintes de bleus de la murale correspondent aux pigments des porcelaines chinoises, hollandaises et françaises.  Le géologique et le géographique devenant ainsi une cartographie partagée.  Ici encore, c’est la texture qui nous permet de penser/ressentir l’installation au delà de son apparence perceptuelle. Cette extension « écologique » du travail est également visible à travers les dessins animés que l’on retrouve sur le mur adjacent au mur d’escalade. Inspirés des graffiti, ces dessins révèlent aussi différentes textures selon l’éclairage de la pièce. En donnant un volume matériel à ces dessins par un jeu d’ombres et lumières, la dimension temporelle du travail témoigne d’un aspect plus politique au travail.  Les textiles, une fois portés et « habités », délaissent leurs traces vivantes, les transformant, leur donnant un nouveau contexte, participant ainsi à la création de la signification de l’œuvre.  En percevant la structure du matériel comme une cartographie de mouvements itinérants, notre part dans cette activité est donc rien d’autre qu’un développement de la pensée – un acte politique découlant de sensations.

Christoph Brunner, 2014

Traduit de l’anglais par marie-Michèle Deschamps


Née au Québec en 1976, Amélie Brisson-Darveau vit et travaille à Zurich. Elle a obtenu un MFA en Studio Arts (maîtrise en arts visuels) de l’Université Concordia dans le programme de Fibres. Avant d’entreprendre sa maîtrise, Amélie a obtenu son baccalauréat en arts visuels et médiatiques à l’UQAM, et a aussi reçu un second baccalauréat en travail social de l’Université de Montréal. Amélie s’intéresse à activer les dynamiques entre l’architecture, les compositions de mouvements du corps et des matériaux et le temps. À travers ses installations, actions performatives et dessins, elle fait en même temps émerger et disparaître ces forces à travers des méthodes d’accumulation de couches, de découpage, d’assemblage, de séquençage et de synchronisation. Son travail a été montré lors de nombreuses expositions et événements au Canada, aux États-Unis et en Europe, incluant la Suisse, l’Angleterre, l’Allemagne, la Finlande, la Lituanie, la Norvège et la France. Elle est également récipiendaire d’une bourse du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture, du Conseil des arts du Canada et du prix de l’artiste émergente de la Biennale internationale de Kaunas.

Christoph Brunner est auteur et chercheur travaillant à l’ Institute for Contemporary Art Research à l’École des Beaux-Arts de Zurich. Dans son plus récent travail, il s’intéresse à la notion de collectivité se retrouvant au sein des pratiques artistiques, de l’activisme et dans l’écologie des médias. Brunner a été publié, entre autres, dans Third Text, AI & Society, Fibreculture, Inflexions, et le Journal of Aesthetics and Culture. Ses collaborations avec des artistes, activistes, architectes et designers font partie intégrale de sa pratique expérimentale éthico-esthétique. Depuis 2008, il s’implique activement dans les activités du Sense Lab à Montréal.