CriticisMe : Inside-Out (version française)

  • MPier Théberge
Du 28 octobre au 9 décembre 2017

CriticisMe : Inside-Out (version française) accumule des morceaux éclectiques, pour ne pas dire hétéroclites. D’abord, une maquette amalgame l’esthétique d’une « galerie d’art traditionnelle » à celle d’une maison hantée inspirée de manèges d’épouvantes [WoMansion]. Puis, dans une tente de consultation, l’artiste invite les publics à discuter à propos de la genèse de leurs identités en incarnant un personnage mi-thérapeute et mi-diseuse de bonne aventure [PsHyenalyz]. Enfin, dans un studio d’art simulant une cantine, l’artiste présente des œuvres multidisciplinaires référant à une « imagerie entre-deux » [Sweet Fuck All Factory]. L’ambiance ludique de cette installation rappelle celle des fêtes foraines ainsi que des parcs thématiques qui sont des « vortex culturels » permettant d’ouvrir des « territoires dynamiques où des notions dualistes peuvent cohabiter sans se neutraliser ».

Dans cette exposition, MPier superpose des éléments tirés de la culture populaire, dont le cinéma (d’animation), la bande dessinée, les jeux de rôle et les jeux vidéo. Ces éléments sont agencés à des notions théoriques provenant de la culture savante érudite (biologie, philosophie, psychanalyse, linguistique, etc.). Le discours de l’artiste s’attarde aussi aux études culturelles, aux études de genre, aux études féministes ainsi qu’à la sociologie de l’art.

À titre d’exemple, la figure de la hyène tachetée a pris une place importante dans la cosmogonie de l’artiste. L’identité de cet animal s’avère plurielle, voire ambigüe. Malgré sa proximité physique et comportementale relative à la famille des canidés, les hyènes appartiennent à celle des hyénidés s’affiliant davantage aux félidés. L’expression « ni chat ni chien » souligne l’aspect indéfinissable des hyénidés, mais aussi une volonté de MPier dans l’optique de déjouer une forme de catégorisation binaire : « une identité permutante inspirée de l’éclatement des identités postmodernes, laissant place à une constante réinvention de soi dans l’idée de dépasser les limites prescrites socialement ». Ces considérations ne se résument pas uniquement à des questions de genre, elles s’appliquent aussi aux définitions et aux rôles multiples qu’on attribue aux artistes actuels ainsi qu’à leur domaine dans notre société.

Le ludisme est aussi un élément important de la pratique de MPier. Tout en ayant une démarche sérieuse, l’artiste invite à l’humour par l’utilisation de jeux de mots et l’emprunt à d’autres formes de divertissement populaire. Dans sa pratique, il y a une volonté d’entretenir une comparaison entre le système de l’art contemporain et celui du jeu comme l’a suggéré l’historienne de l’art et commissaire Marie Fraser. Dans le milieu de l’art, tout comme dans un jeu, il y a des joueurs (artistes et publics), un terrain (musées et galeries), des règles (enseignées par les Académies et Écoles d’art), des buts (prix et distinctions) et des arbitres (critiques et commissaires).

En abordant des sujets épars, ces quelques lignes veulent rendre compte de la versatilité théorique et pratique de MPier qui peut sembler paradoxale, mais assumée. En conséquence, l’exercice du texte d’accompagnement d’exposition, qui veut éclairer ou instruire à propos de cette recherche en art actuel, ne peut qu’inciter le public à profiter de la présence de l’artiste pour apprécier davantage CriticisMe : Inside-Out (version française).

 

-Texte de Éloi Desjardins et MPier Théberge

Références :

Fraser, M. (2008). L’indécidable : « Aux bords de l’art ». Esse : Montréal.

Jeffers, S.C. (2004). « In a Cultural Vortex: Theme Parks, Experience, and Opportunities for Art ». Studies in Art Education : A Journal of Issues and Research, 45, 1, 221-233.

Kruuk, H. (1972). The Spotted Hyena : A Study of Predation and Social Behavior. Chicago and London : University of Chicago Press.

O’Doherty, B. (2008). White Cube : L’espace de la galerie et son idéologie.

 


MPier Théberge est une artiste multidisciplinaire et interdisciplinaire qui travaille et vit à Montréal. Lauréate de nombreuses bourses lors de ses études au baccalauréat en arts visuels et médiatiques à l’UQAM, elle obtient du financement de la part du CRSH afin de réaliser sa maîtrise (2010-2012). Son mémoire intitulé « Une pratique de l’autoreprésentation révélant les mécanismes de la construction identitaire de l’artiste dans le monde de l’art » lui permet d’élaborer son projet ArtisMe®. Elle y développe des jeux artistiques et éducatifs concernant la progression de sa carrière ainsi que l’évolution de son sujet-artiste dans le milieu de l’art actuel. Parmi ces « activités ludiques interactives », elle produit une application Android sous la direction d’Alexandre Castonguay ; MPiigotchi : Promenade du critique influent. Plus récemment, elle a obtenu la bourse Elisabeth Greenshields (2014) puis a été financée par le FQRSC afin de poursuivre ses études doctorales dans cette même université (2015-).

 

Journaliste culturel, critique d’art indépendant et commissaire pendant plus de dix ans, Eloi Desjardins est étudiant au doctorat en histoire de l’art sous la direction de Marie Fraser, professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), et sous la codirection d’Éric George, de l’école des médias de l’UQAM. Sa thèse de doctorat porte sur l’activité de critique d’art, autour de controverses en art contemporain, dans les médias et les réseaux sociaux numériques. Il est aussi le fondateur et gestionnaire de Direction Art Mtl : une carte d’art contemporain.