Dans le creux de l’idolâtrie
- Gabriel MOREST
Sous quel angle aborder une oeuvre sculpturale qui ne présente aucun programme stratégique relatif à sa genèse, ni gadget technologique séduisant complexe à décrire, ni documents d’archives qu’il faut expliciter par du texte ? Et bien, la réponse se trouve dans la nature même de cette oeuvre. Pour écrire convenablement sur l’installation sculpturale de Gabriel Morest présentée au CIRCA, il faut, me semble-t-il, plonger dans une description formelle, matérielle et iconographique : une approche certes plus traditionnelle, mais qui a fait ses preuves.
Voici donc ce qu’on voit. Huit assemblages aux formes diverses, entre matériaux bruts et industriels, entre objets fabriqués et trouvés, entre lignes sinueuses et anguleuses, entre abstraction lyrique ou géométrique et figuration. En regardant l’ensemble, on y reconnaît le haut du corps aux bras tronqués d’un enfant, déposé sur un socle travaillé grossièrement, tout en rondeur, comme des pattes de meubles en bois massif; le moulage d’un pied humain surmonté d’une sorte de totem ou d’armure rappelant des cornes de taureau; deux mains dont les positions évoquent quelques gestes de préhension; une colonne d’inspiration gréco-romaine. Là s’arrêtent les références iconographiques au monde réel, qui appellent différentes époques et cultures (grecque, classique, américaine, kitsch, etc.). Le reste est de l’ordre de l’abstraction, mais donne pourtant à chacun des éléments de l’installation un caractère anthropomorphique. Ces huit bustes étranges sont positionnés dans la salle de sorte qu’ils forment un cercle, une arène ou une assemblée constituée de statues à l’effigie de personnages marginaux, aux allures éclectiques, dont le visiteur est quelque peu exclu, relégué au titre de témoin puisque condamné à le parcourir depuis l’extérieur. Agissent-ils ensemble ou se préparent-ils à un affrontement belliqueux ? L’on ne saurait répondre, la situation semblant suspendue, ouverte à l’interprétation.
Il nous est peut-être permis d’associer cette oeuvre dont le mélange des styles témoigne d’une liberté de création, notamment dans le faire, à des mouvements artistiques révolus, mais dont la pertinence ne saurait s’éteindre tel le surréalisme ou plus récemment, le néo-expressionnisme et la nouvelle figuration. Une tendance qui dans les années 1980, après la rigueur processuelle des artistes formalistes et conceptuels, a permis la réintroduction de la figuration et avec elle une conception postmoderne de l’histoire de l’art. Les formes artistiques ne se développeraient plus dans un mouvement ascendant motivé par l’idée de progrès et de perfectibilité – une conception idéaliste du devenir artistique – mais tous azimuts : les artistes puisant à toutes les sources, sans hiérarchiser les référents culturels et historiques.
À preuve, au sein de l’oeuvre Dans le creux de l’idolâtrie de Gabriel Morest, des formes épurées associées au mouvement minimaliste et à une culture d’élite côtoient des formes brouillons et des références relatives à une culture dite de masse ou populaire. Plusieurs savoir-faire coexistent : de l’artisanat du « gosseux » de bois ou de l’artiste qui façonne l’argile ou le polyuréthane en passant par différentes techniques industrielles du travail du bois et de l’acier. La spécificité des matériaux s’estompe puisque les objets sculpturaux sont pour la plupart recouverts de couches de peinture de sorte que l’installation, très graphique, se présente comme une infinité de tableaux : une composition colorée qui par sa nature tridimensionnelle est visible sous une multitude d’angles. Plusieurs éléments sont volontairement laissés en plan, principe qui donne une facture brute à l’ensemble et prouve que l’artiste ne cherche pas la perfection, mais souhaite plutôt affirmer l’inachèvement comme principe esthétique.
Morest brouille ici les genres, les horizons, les carcans, les appréhensions. Il fait cohabiter dans un même espace des références multiples, solidaires des formes artistiques qu’il crée en ce sens que l’oeuvre se suffit à elle-même, que sa forme contient l’essentiel de sa signification : une qualité qui se fait rare par les temps qui courent où le concept de l’oeuvre semble souvent prévaloir sur la forme. Ici, nul besoin de texte explicatif pour comprendre la portée de l’oeuvre : elle n’est pas avare de son contenu. Il faut la voir, la percevoir et s’en faire sa propre idée.
Ève Dorais
Originaire de l’Outaouais, Gabriel Morest s’installe à Montréal pour étudier les arts visuels et médiatiques à l’Université du Québec à Montréal. Il complétera son baccalauréat en 2010. Durant son passage à l’UQAM, il remporte le prix McAbbie en peinture et la mention du jury pour le prix Albert-Dumouchel. En 2009, il profite du programme interuniversitaire pour compléter un trimestre à l’école des arts décoratifs de Strasbourg. Depuis 2010, il a pris part à diverses expositions collectives à Montréal (CLARK, Arprim, CIRCA), à Rouyn-Noranda (l’Écart) et en France (Sarcelle). Son travail a également été présenté en solo à la maison de la culture de Gatineau en 2011. En 2015, il présentera trois expositions solos, dont deux aux centres d’artistes CIRCA art actuel (Montréal), l’autre à l’Œil de poisson (Québec) et la dernière au Centre d’exposition L’Imagier (Gatineau). Pour mener à bien ses projets, il a obtenu une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec. Artiste multidisciplinaire, sa démarche artistique s’oriente autour de questionnements concernant la société et de notre perception face à son histoire, ses icônes, sa violence, ses joies, ainsi qu’à ses échecs et à ses gains.
L’artiste tient à remercier Sophie Ève Adam et Gustave Morest pour leur présence et leur soutient.
Ève Dorais évolue dans le milieu des arts visuels comme commissaire, auteure, artiste et coordonnatrice à la réalisation d’expositions et de publications. Elle a fait des études en arts plastiques puis en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal. Son travail d’artiste a été présenté à DARE-DARE, à Caravansérail ainsi qu’au Centre des arts actuels Skol. En 2014, elle a été commissaire de Ras le bol, exposition présentée à Skol qui incluait un important volet performance et de la seconde édition du Projet HoMa. Elle a été co-commissaire de la quatrième édition d’ORANGE, L’événement d’art actuel de Saint-Hyacinthe sous la thématique Les Mangeurs et, en 2007, co-commissaire avec Aude Moreau de 11 : 1/1, présenté au Cdex en collaboration avec Articule. Ses articles ont été publiés dans Spirale, esse art + opinions, Inter, etc, et elle a signé quelques opuscules d’exposition et articles de catalogues.