de fortune
VERNISSAGE: Jeudi 8 mai, 17h30
À PROPOS DE L’EXPOSITION
Avec de fortune Michel Boulanger propose une étrange sculpture : un Westfalia à l’échelle 1:1 construit en bois de grève. De l’iconique véhicule, le modèle 1967, il n’a conservé que certaines lignes pourtour, créant ainsi un dessin en trois dimensions dans l’espace de la grande galerie du CIRCA. Loin d’être droit et régulier, le bois flotté crée des lignes tortueuses aux multiples aspérités. Le relief du bois est atténué par la peinture noir matte qui le recouvre, et par les fines lignes blanches qui le traversent. L’effet d’ensemble peut apparaître comme une cage.
Depuis de nombreuses années, Boulanger utilise des outils numériques pour explorer le dessin. Afin de mieux comprendre les règles qui régissent ce type de dessin, on peut se référer à la science-fiction qui s’en inspire pour créer ses mondes du futur. Ainsi, dans Star Strek, une salle composée d’une grille blanche sur fond noir, le « Holodeck », permet de générer des mondes virtuels ; et dans le monde informatique du film Tron seules les arrêtes des objets sont soulignées de lignes de couleurs. Ces exemples permettent d’identifier les deux éléments essentiels permettant de créer l’effet de volume d’un dessin numérique : la grille – pour l’effet de 3D de l’environnement – et le « wireframe » ou le fil de fer – pour l’effet de 3D des objets. Dans sa sculpture, Boulanger détourne avec brio ces codes du vocabulaire numérique afin de les transposer sur un objet réel. L’effet d’ensemble crée des tensions visuelles polarisantes, entre une matérialité « faite à la main », et l’évocation de l’utilisation d’outils numériques par les fines lignes blanches qui rappellent le wireframe.
C’est au Symposium de Baie-Saint-Paul, édition 2022, que l’idée de ce projet est née. Les artistes participant.e.s étaient invité.e.s par la commissaire Anne Beauchemin à réfléchir leurs créations autour du thème « Le numérique en question ». Installé près de la baie, Boulanger y a développé un nouveau mode de production, se réinventant dans son utilisation des outils numériques.
C’est ainsi que l’œuvre de fortune a débuté son existence en un dessin numérique d’un Westfalia. Cette esquisse lui a ensuite servi de patron et de guide pour sa construction en bois de grève. Durant plus d’une année et demie, l’artiste a parcouru les rives du Fleuve Saint-Laurent – près des municipalités de la Rivière-Ouelle et de Berthier-sur-Mer – afin d’y dénicher des morceaux de bois échoués compatibles avec les lignes et les courbes de son dessin de départ. Dans ce projet, l’artiste utilise le numérique sans les moyens de production qu’offrent les machines. Avec des moyens rudimentaires, il a dû laisser aller le contrôle de l’image parfaite. Les lignes blanches dessinées au crayon, qui reprennent l’idée du fil de fer, s’épuisent au fil de leur utilisation et marquent de façon irrégulière les surfaces noires. Les « glitchs » sont occasionnés par le matériau lui-même – le bois de grève – et ses limites à suivre le modèle de référence avec ses courbes parfaites et ses lignes droites.
Marqué par le paysage, Boulanger l’évoque avec son Westfalia de fortune. On le retrouve avec ce choix du bois de grève : un bois dépouillé par le ressac des vagues et son voyage au cœur du paysage. On le découvre aussi par la symbolique du véhicule qui réfère à la liberté et à l’exploration idéalisée du territoire nord-américain par les hippies.
En contrepoids, l’artiste s’est aussi inspiré du nomadisme forcé de ceux qui perdent leurs maisons et vivent dans leurs véhicules. Il a d’ailleurs été particulièrement inspiré par le récit du film Nomadland (2020) de Chloé Zhao avec ses personnages sans domicile fixe vivant dans leurs caravanes. La forme du Westfalia et sa construction précaire rappelle la fragilité, l’abri de fortune et les rêves déchus vécus par ces populations.
Œuvre aux multiples métaphores, de fortune est pour Boulanger la matérialisation d’une idée qui porte encore en elle la notion de son concept de départ. J’ajouterais qu’aujourd’hui nos modes de vie – entre réel et virtuel- donnent une note douce amère à cette sculpture qui s’offre également comme une sorte de mise en garde. En laissant aller notre imagination on pourrait croire que cette sculpture d’un dessin numérique en trois dimensions s’est échappée de l’écran pour s’imposer dans l’espace de la galerie. Ou pire, s’agit-il peut-être de l’inverse ? L’espace de la galerie, transformé en une grille virtuelle, un espace numérique, qui nous accueille afin de contempler ce dessin 3D ?
– Texte de Geneviève Goyer-Ouimette
Biographie de l’artiste
Michel Boulanger, né à Montmagny, est un artiste visuel qui vit et travaille à Montréal et à L’Islet. Il détient une maîtrise en arts plastiques de l’Université du Québec à Montréal où il a été professeur à l’École des arts visuels et médiatiques, de 2001 à 2020. Il a contribué au développement de la recherche création à l’UQAM en cofondant le Grupmuv, laboratoire de recherche création en dessin et image en mouvement. Michel Boulanger a participé à de nombreuses expositions au Canada et à l’étranger et son travail a été présenté dans des musées nationaux, dont le Musée des beaux-arts de Montréal et le Musée national des beaux-arts du Québec. En 2004, son travail faisait l’objet d’une exposition personnelle au Musée d’art contemporain de Montréal. Il a aussi exposé dans plusieurs centres d’artistes québécois et canadiens et ses œuvres font partie de nombreuses collections publiques et privées prestigieuses.
Biographie de l’autrice
Geneviève Goyer-Ouimette est Conservatrice de la Collection d’œuvres d’art de la Ville de Laval. Avant, elle a été conservatrice de la Collection Prêt d’œuvres d’art au Musée national des beaux-arts du Québec, directrice du CIRCA art actuel et conservatrice de l’art québécois et canadien contemporain de 1945 à aujourd’hui et titulaire de la Chaire Gail et Stephen A. Jarislowsky au Musée des beaux-arts de Montréal. À titre de commissaire, elle a réalisé plusieurs expositions dont les bilans de Catherine Bolduc (Salle Alfred-Pellan et Expression) et d’Éric Ladouceur (Musée du MacLau et Galerie Graff), la première édition du Projet HoMa (Fondation Guido Molinari et Maison de la Culture Maisonneuve), Mnémosyne : quand l’art contemporain rencontre l’art du passé (MBAM) et quatre éditions de Zoom Art un projet d’affichages d’art actuel dans les espaces publicitaires des métros de Laval. Elle publie également des essais dans des catalogues et revues d’art. Impliquée dans le milieu, elle est membre active d’Est-Nord-Est résidence d’artiste à Saint-Jean-Port-Joli, membre honoraire du CIRCA art actuel et siège au Comité directeur de la Galerie de l’Université de Montréal. Elle est diplômée en histoire de l’art (UQAM), en muséologie (UQAM) et en gestion d’organismes culturels (HEC Montréal).