Ezuhu Ezu (In[complete)

En partenariat avec la biennale Af-flux
  • Ifeoma Anyaeji
Du 30 octobre au 11 décembre 2021

-Galerie I-

Ezuhu Ezu (In[complete)

D’un continent à l’autre.

Ifeoma Anyaeji et Ernerst Breleur, par-delà leurs différences d’expériences et d’identités, respectivement originaires de la Martinique et du Nigéria, matérialisent, expriment parfaitement cette part de l’énoncé curatorial: « Quel que soit son lieu de départ ou d’arrivée, le passeur des mondes porte en lui un matériel émotionnel et culturel qui filtre ses perceptions de l’après-frontière. Ce matériel affecte simultanément la manière dont il se perçoit et la manière dont il est perçu. En retour, le passeur ensemence sa terre d’accueil d’un imaginaire culturel exogène et permet de repenser ou de réinventer les identités locales. ». En effet Ernest et Ifeoma sont des passeurs, en cela qu’ils posent un regard sur ce qui passe entre les mondes et la manière dont cela les affecte.

Figure très importante de l’art contemporain en Caraïbe, Ernest Breleur vit et travaille en Martinique. Il est sans nul doute l’artiste le plus expérimenté de la biennale. Extrait de sa plus récente série Le vivant, passage par le féminin, est une réflexion sur l’existence et notre passage entre les mondes. Il nous dit par la simplicité des moyens techniques employés (objets féminins du monde, perles, plumes et bibelots de toutes sortes) que rien ne se perd, tout se transforme, et qu’il participe à la création de corps nés d’innombrables matières biologiques. Plus encore, il nous parle de tous ces passages enchâssés les uns dans les autres jusqu’à un commencement que l’on se figure bien mal. Combien de mondes et de passages faut-il pour faire un monde?

À l’automne de sa vie, il nous offre un regard fasciné sur la vie, sa vie, mais aussi un regard poétique sur les passeuses de monde que sont les femmes. S’il est un créateur jaloux d’une puissance que son sexe ne peut lui offrir, ses poèmes visuels nous invitent à prendre note d’une sage évidence : qu’elle soit biologique, culturelle, végétale ou minérale ce qui importe c’est la rencontre, car sans elle point de naissance ni passage.

Ifeoma Anyaeji se décrit elle-même comme une artiste néotraditionnelle nigériane née à Benin City qui vit et travaille à Montréal. Elle est actuellement doctorante en arts à l’Université Concordia.

Ses œuvres questionnent, entre autres, l’idée de rebuts matériels liés à nos sociétés consuméristes. Une idée imposée au reste du monde, soit une donnée culturelle propre à l’Occident et utile qu’à son propre développement. De ce fait, elle interroge le passage de sa culture nigérienne à une société mondialisée, ainsi que l’érosion des pratiques dites traditionnelles face aux idéologies exogènes liées à la modernité. Elle nous rappelle que lorsqu’un matériel culturel passe d’une culture à une autre, il y a perte de valeur, d’information ou assimilation partielle. Dans le cas du rebut plastique, il n’y a ni perte de valeur, d’information et ni assimilation possible, juste un indigérable rebut. Ifeoma propose le concept de Plasto-art pour tenter de digérer ce rebut qui en soit est un non-sens dans ses legs culturels Igbo.

Elle fait appel aux techniques traditionnelles de tressage pour tenter de retisser un objet entre-deux et digérable par les deux parties. En cela, ses œuvres redonnent à la matière artificielle inassimilable une valeur, par une forme presque vivante. Et pour cause, par le format aléatoire, ses œuvres ne sont pas sans rappeler un organe digestif avec ses circonvolutions et ses excroissances éruptives. Ifeoma se fait ainsi passeuse entre les mondes, même avec un élément aussi revêche que le plastique.

D’un continent à l’autre et d’une culture à l’autre, Ifeoma Anyaeji et Ernest Breleur ensemencent notre imaginaire et affectent simultanément la manière d’appréhender l’existence et ses supposés rebuts.

 

Eddy Firmin

Artiste-chercheur

Commissaire de Af-flux, Biennale Transnationale Noire

 

Biographie de l’auteur 

Originaire de la caraïbe française (Guadeloupe), Eddy Firmin est un artiste-chercheur, conférencier, vivant et travaillant à Montréal (Canada). Docteur en Études et Pratiques des Arts de l’Université du Québec à Montréal (Canada) et détenteur d’une maîtrise de l’École Supérieure d’Art et Design le Havre-Rouen (France). lI coordonne  la publication de la revue décoloniale Minorit’Art. Son travail plastique interroge les logiques transculturelles de son identité et les rapports de forces qui s’y jouent. Au plan théorique, il travaille à une Méthode Bossale visant à décoloniser les imaginaires en art.

Biographie de l’artiste 

Ifeoma U. Anyaeji est une artiste néo-traditionnelle nigérianne née à Benin City. Ayant grandi dans une société alimentée par les dualités des excès et de la répression, où l’art n’était pas encore accepté comme une profession «décente», Ifeoma a décidé de se lancer dans l’art comme une carrière à plein temps explorant ses limites, en tant qu’artiste féminine au-delà les conventions de sa formation académique initiale en peinture. Plus tard, elle a poursuivi son intérêt antérieur pour la sculpture et a approfondi sa passion pour la création artistique non conventionnelle et la réutilisation d’objets jetés, un intérêt stimulé par les problèmes environnementaux constants qu’elle a rencontrés dans sa communauté, en particulier à cause des sacs et des bouteilles en plastique non biodégradables étaient en abondance. Tout en expérimentant ces polluants environnementaux, en engageant des processus possibles de refonte et de réutilisation d’objets, en particulier avec des techniques de fabrication d’art non conventionnelles et des processus artisanaux traditionnels, Anyaeji a développé un style d’art qu’elle appelle «Plasto-Art». Il s’agit d’un processus de refonte éco-esthétique, dans lequel elle transforme son support principal – des sacs et des bouteilles en plastique non biodégradables – en appliquant ses compétences d’artisanat dans une technique de tressage de cheveux nigériane traditionnelle en recul appelée Threading, combinée à des techniques traditionnelles de vannerie et de tissage de tissu . En utilisant cette technique, avec une approche expérimentale de la fabrication d’objets qui exclut le plus souvent les conventions anticipées, Ifeoma crée des sculptures et des installations très conceptuellement complexes et organiques, avec des textures et des couleurs complexes, qui font référence à des formes architecturales, des espaces et des meubles domestiques, des réitérations d’expériences culturelles. et discours sur le corps humain. Et en engageant spontanément «l’ancien», elle questionne les implications de la modernité: les systèmes de consommation d’accumulation de masse et de production de déchets, les définitions de l’assimilation culturelle et de l’attitude à la valeur, le syndrome de la date d’expiration et les orientations coloniales sur la beauté, l’authenticité et la nouveauté.

En imprégnant des matériaux, des marques et des processus banals d’une signification surprenante et d’un design complexe, son travail se transforme en une poésie visuelle extraordinaire avec des textures de vibrations et de pulsations qui permettent au spectateur une liberté d’imagination, d’interprétation et de réponse émotionnelle. Son utilisation de la répétition obsessionnelle montre des affinités avec les préoccupations des techniques traditionnelles africaines de tissage textile et de tressage des cheveux, et cherche à ressusciter l’artisanat et l’art décoratif classés par sexe en tant que moyens viables d’expression artistique, ainsi que d’un potentiel politique et subversif. Elle combine de manière inventive ses matériaux pour former des compositions audacieuses qui démontrent une expérimentation persistante et une maîtrise de la technique qui dépassent les frontières acceptées du médium, tout en tissant des expériences personnelles et collectives qui célèbrent l’ouverture sur le monde et la diversité. Allusions et métaphores abondent alors qu’elle tisse des souvenirs personnels et collectifs avec des réflexions sur des expériences universelles qui célèbrent l’ouverture sur le monde et la diversité. Anyaeji est titulaire d’une maîtrise en sculpture de l’Université de Washington à St Louis, aux États-Unis; un baccalauréat en peinture de l’Université du Bénin, au Nigéria et est actuellement doctorant interdisciplinaire. Elle a participé à plusieurs expositions en Afrique, en Europe et aux États-Unis, dont les expositions en cours: «Les Éclaireurs – sculpteurs» d’Afrique Palais des Papes, Avignon, France; « Accueil: Les artistes africains contemporains considèrent leur place et leur identité dans notre monde connecté » The Miller Gallery, Otterbein University, Westerville, Ohio. Les expositions à venir incluent l’exposition itinérante « Enchevêtrements plastiques: écologie, esthétique, matériaux ». Février-juin 2018 au Palmer Museum of Art, Penn State University, États-Unis et se rendra jusqu’en janvier 2020 au Jordan Schnitzer Museum of Art, Portland State University, Portland, Oregon; Smith College Museum of Art, Northampton, MA et le Chazen Museum of Art, Université du Wisconsin-Madison, WI. Les collections comprennent la Fondation Jean-Pierre Blachere, Apt, France, l’ambassade des États-Unis, Abuja, Nigéria, le programme Art in Ambassies, le département d’État des États-Unis, Washington DC.

 

Crédit photo : Jean-Michael Seminaro

 

Texte d’exposition par Ifeoma Anyaeji

 

Revue de presse

Élisabeth Recurt, « Retour sur Af-Flux, biennale transnationale noire », dans Vie des arts, no 265, janvier 2022.

Kessie Theliar-Charles, « Monde Bossale. Af-flux Biennale Transnationale Noire », dans esse art + opinion, no 104, Collectifs, janvier 2022.