Garden Archive

Vernissage le samedi 2 novembre 2019 à 15h
  • Leyla Majeri
Du 2 novembre au 7 décembre 2019

         -Galerie I-

 

Garden Archive

Il y a un ver qui s’infiltre dans le corps et l’esprit de l’escargot, causant le gonflement et le rayonnement de ses tentacules oculaires. Possédé par ce ver parasite, l’escargot développe un dangereux penchant pour les hauteurs et grimpe jusqu’au sommet des plantes. En se tortillant comme des chenilles, ses yeux envoûtés leurrent les oiseaux qui les mangent et redistribuent alors le parasite.

 

Il y a une guêpe qui pénètre la coccinelle de son dard, se servant du corps de cet hôte pour incuber son œuf. La coccinelle parvient à donner naissance à la progéniture de la guêpe qui tisse ensuite un cocon autour de ses pattes. La coccinelle devient ainsi la protectrice du cocon de la guêpe. Lors de l’éclosion, il y a toutes les chances qu’elle dévore son hôte.

La coccinelle et la guêpe, l’escargot et le ver forgent une sorte d’intimité. L’un est rompu et mené par les intérêts de l’autre. On a souvent recours à l’analogie des zombies pour décrire un état où le propre intérêt d’une espèce est subjugué par une autre force. On y perd la raison. En fait, l’esprit n’existe pas, dans la mesure où nous le concevons comme un espace clos et protégé. Selon l’éthique de l’hospitalité de Derrida, ces créatures, comme nous tous, sont à la fois dans un état d’hôte et d’otage de l’autre.

 

Lynn Margulis écrit : « La vie, tout particulièrement la vie bactérienne, est résiliente. Elle s’est nourrie de désastres et de destructions depuis le début des temps1. »

 

C’est une façon d’être intime, une façon de percevoir, comme un jardinier le ferait, l’enchevêtrement des relations entre les choses.

 

Barad écrit : « Il n’y a pas d’intériorité… Non seulement les sujets, mais aussi les objets, sont traversés de part en part de leurs relations entremêlées. L’autre n’est pas seulement dans la peau, mais dans les os, dans les tripes, dans le cœur, dans le nucléus, dans le passé et le futur2… »

 

Les insectes des aquarelles de Hesse-Honegger sont également référencés dans le travail de Leyla. Ces hémiptères déformés émergent d’un environnement radioactif dont les frontières sont impossibles à définir. Un thorax boursouflé, une antenne nouée, une patte tronquée, révèlent le travail invisible des particules.

 

Coémergence ou comutation, contamination ou compagnonnage, ces processus deviennent difficiles à dénouer. La radioactivité est la source d’existence de ces insectes transformés, l’environnement facilitateur duquel ils ont pris forme. Une maison est un contenant brisé.

 

Un biome est une communauté d’êtres en cohabitation, l’écotone est l’espace transitoire entre ces habitats. Dans ce monde, les frontières ne tiennent pas en place. Les êtres émergent de rencontres étrangères : intrusions, invasion, interférences et intimités. Le travail de Leyla se situe dans l’entrelacement des écologies, réaffirmant les liens, réparant les clivages, traversant les espaces.

 

De ces interactions naissent des morphologies inattendues. Leyla nous demande de réimaginer des modèles d’enchevêtrements, des proximités non familières en réarrangeant qui et quoi ressort d’où, et quel type d’environnement pourrait surgir d’un glissement de frontières, d’une altération des échelles, d’une inversion des champs. Dans l’archive de ce jardin, des biomes habitent une boîte à chaussures. La façade d’une maison (un fragile rempart à l’intériorité) s’ouvre sur un champ d’ail. Une courge comme refuge, une galerie comme jardin.

 

   – Katherine Kline, en collaboration avec Leyla Majeri

(traduction du texte original en anglais)

 

 

1.Margulis, Lynn (1998). Symbiotic Planet. NY : Basic Books, p. 120

2.Barad, Karen (2007). Meeting The Universe Halfway. Durham & London : Duke UP, p. 393

 

 

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Leyla Majeri se concentre sur l’installation sculpturale et le film expérimental d’animation qu’elle met en lien avec des préoccupations portées sur l’écologie entre la matière, l’imaginé et le politique. Sa première exposition individuelle, Harness the Sun (Arprim, Montréal, 2016), initie une réflexion sur sa pratique de jardinage dans laquelle elle explore la mouvance des frontières, tout en négociant la distinction glissante entre le geste de cultiver et l’objet cultivé. Ce travail s’est poursuivi dans Don’t Blame Us If We Get Playful présenté à la Galerie de l’UQAM en 2018. Ses installations et ses films ont été présentés récemment à la Parisian Laundry, Sounds Like/Paved Arts, Eastern Bloc et au Festival du nouveau cinéma. En 2017, elle est récipiendaire d’une subvention de projet du Conseil des Arts du Canada et d’une subvention de recherche Grupmuv de l’UQAM en 2015. Au printemps 2017, elle a complété une résidence au centre d’artistes Est-Nord-Est de Saint-Jean-Port-Joli pour effectuer des recherches sur la matière plastique et ses résidus. Leyla Majeri vient de compléter une maîtrise en arts visuels et médiatiques à l’UQAM.

 

Katherine Kline est psychothérapeute en pratique privée et doctorante en communication à l’université Concordia. Ses recherches portent sur le spiritisme, la dendrophilie et les travaux de Wilhelm Reich pour investiguer les frontières entre le corps et la pysché, la matérialité et l’immatériel. En tant que musicienne, elle s’investit dans le projet « crone-core» The Powers,aux côtés de Mensch et Pelstring. Kline collabore depuis plusieurs années avec Majeri. Ensemble elles ont conçu des projets impliquant aussi bien l’écriture, les marionnettes, l’animation expérimentale et le son.

 

Leyla Majeri souhaite remercier Mylène Dupont et Stéphane Beaulieu pour leur générosité et leur précieux partage de savoirs.

 

Crédits photo : Jean-Michael Seminaro