Habiter dans la bouche des formes
- Marie-France BRIÈRE
sculpter avec sa langue de formidables bouchées humaines
pain de sucre ou de savon
le couteau taille et esquisse des récifs amalgamés de salive
comme une barbotine sur les dents la parole s’engouffre dans les syllabes et s’éclabousse en parcelles noires
parler dans la respiration
elle emprunte des mots pour construire un abri de fortune
les images transparentes se succèdent et instantanément fondent s’échouant sous la table
masse et criblure de voix sur un fond de gestalt
les ondes perforent le rocher et l’écume enveloppante recouvre tous les silences
tracer avec les doigts des marques sur le verre humide de la fenêtre
voyage dans cette zone automnale de gris fer et de brun opaque
les yeux rivés sur la nuit la main ballante et vide.
apparaître
le corps découpé dans une laize de papier peint
la fin du jour
l’espace de rien
je meurs de ta patience à me regarder
que peut-il arriver de plus
les couleurs apparaissent sur la zone franche du crépuscule
la nuit mangera encore du temps avalant une fois de plus mes inquiétudes
demain je déposerai les écailles dans le bocal camaïeu de blanc et de jaune pâle
poussière et peau en éclat
déconstruire
surface plane étalée comme un corps inerte
l’objet découpé assujetti à sa minceur démente
flaque matérielle aux couleurs de l’âme
je te découvre sur un bouleau tacheté de mousse longeant le ruisseau craquant de bois mort
le paysage s’embue je le vois disparaître noyé de silence
il s’écrase amenuisé sur le seuil de la porte
décompter l’espoir escroc du dimanche catapulte
paquebot sur le fil de suture
soif dans le vertige de l’avancée
ils peuvent partir dès maintenant
l’aube s’allonge sur les cils de tes yeux
les amas de grêle forment des ruches de glace et pendouillent aux branches des arbres
laboratoire échantillon
la pâte sculpturale a disparu
la forme s’est acérée et je vois l’ossature sur laquelle je couds
le métal se déploie en petis carrés formant une grille
journal méthodique d’une érosion dans la matérialité
une pile de dessins que j’endosse comme des chèques
une routine esquissée à la mine de plomb un trait sur le pointillé
j’entasse du bois sous la couverture de feutre pliée
brasier sec
elle jongle avec des failles
des arêtes rythmiques
une absence de structure qui s’imprègne sur les paumes de mes mains
vapeurs des eaux froides condensées sur le rivage
émergence du sol en escalier
vague déferlante de tes sons qui te propulse
accrocs et tics les mains balaient et ton rythme s’accélère sur cette piste de danse sculptée dans le roc
piédestal pour ton monologue hachuré
écholalie et voix off
je me penche sur ton coeur
ton souffle court toujours
j’ai perdu ton double
il s’est défait comme une grimace dans l’arborescence de mes veines
je résume les lieux visités
une carte se dessine autour de toi
le pays s’adosse aux regards des habitants insulaires
petits lacs grisâtres dessinés au fusain
émietter le regard en fines gouttes de pluie
les perles serpentent le verre maquillant une trace sur le parcours de leur chute
s’accrochent aux fenêtres et vêtues de paille elles s’avancent flambées
les tissus nous enserrent fébrilement et nous retiennent collés
point à la ligne de départ
différentes strates vacillent en catastrophe et inonde le chemin des enfants qui naissent à la fin de chaque mouvement
une ampoule s’est brisée et la noirceur déambule sur ton ombre qui capte en litige le fruit
libellule de mohair
elle danse dans l’air respirable et mime devant toi
efflorescence froissée
gueux de statuaire enfourchant l’horizon paré
efface le relief de son pouls et freine dans le rebours des sons
le craquement d’une respiration dentelée
écorce sur l’oeil humecté
je me jette en bas
filament secondaire
les murs sont des haut-parleurs
je ferme la lumière à chaque fois
tomber en aval mollement sur le frimas gris
plissure à l’encoignure de la bouche travestie
paysage de fragments de rocs hallucinés
la terre tremble et culbute
avatar ponctuel
exactitude de la fuite
le temps s’effile en absorption couleur de l’éponge avec des yeux qui pleurent
la forme s’invente imbibée d’eau
traveling sur fond plat
le miroir projette des ombres paraplégiques
une main de cheveux se déploie à l’envers de mon corps
l’été nous ravit
imagine un désordre un cafouillis extraordinaire
assourdissant de pénombre
un dessin de mer
des coquillages effilochés s’imposent sur le tapis de sable
porcelaine marine
dragée saline
que la main cherche à prendre dans le désordre de l’eau
mon temps de travail
gouttes d’encre en archipel
fiction
d’espoir en renoncement
je me chagrine un peu
tu me rappelleras si tu veux
l’heure magique
l’échec d’un jour de plus
Marie-France Brière
Suite à mes études de premier cycle (1980) un séjour en Italie marquait mon parcours et précédait l’obtention d’une maîtrise en arts visuels de l’Université du Québec à Montréal (1989). Récipiendaire du Prix Louis Comtois en 1996. Mon travail prend appui sur la nécessité de redéfinir certains paramètres liés à la pratique de la sculpture en repensant les gestes qui y sont associés. Je pense aux travaux récents qui m’on conduit vers d’autres moyens matériels, l’utilisation du feu, de la cendre, de la poussière et de la voix comme indice de la disparition de la forme. La pratique de l’écriture s’inscrit aussi dans cette démarche actuelle en continuité avec l’usage des matériaux souples que j’ai souvent employé avec la pierre. Mon expérience artistique se prolonge à travers plusieurs réalisations dans le cadre du programme de l’intégration des arts à l’architecture. Ces insertions dans la communauté offrent à chaque fois, des oeuvres contextuelles matérialisant différentes explorations. Ondes, pavillon Schulich, Université Mc Gill, 2005. Signatures, Allée des Huissiers, Palais de Justice de Montréal, 2002. Cirque lunaire, Cinémathèque Québécoise, 1998.
Thierry Gauthier est né en 1970 à Chicoutimi. Sa formation musicale fut longtemps autodidacte, mais il est aussi détenteur d’un diplôme (AEC) en conception sonore assistée par ordinateur (Musitechnic, 1998) et poursuit ses études en composition électroacoustique à l’Université de Montréal avec Jean Piché et Robert Normandeau depuis 2004. Sa démarche préconise souvent l’imposition de contraintes et le développement de nouveaux processus. Il fouille les microstructures sonores et fait jaillir de la matière sonore, des qualités inattendues. Musicien multi instrumentiste, ses compositions (solo ou avec ensembles) se retrouvent enregistrées sur plus d’une vingtaine d’albums, distribués sur le marché local et international.
Je remercie le Conseil des arts et des lettres du Québec pour son appui dans ce projet. Je remercie également Claude et Milan Bernard de leur fidèle complicité.
Article de Josiane Gervais-Tiberghien dans Espace Sculpture, #83, 2008