KEEP IN TOUCH

Entretiens : deuxième chapitre
  • Cindy Dumais
Du 13 janvier au 2 mars 2024 - Vernissage, le 13 janvier de 14 h à 17 h 30. Rencontre avec l'artiste à 15 h.

Galerie I

Keep in Touch est le deuxième volet d’Entretiens débuté en 2017, où Cindy Dumais s’intéresse au passage de l’écriture vers la matérialité des arts visuels grâce à des brouillons d’œuvres littéraires offerts par leurs auteurs. Ici, deux pages de carnet datant de 1992 à l’origine de la pièce The Dragonfly of Chicoutimi (1995), généreusement partagées par Larry Tremblay, servent de point de départ à un corpus sculptural et vidéographique dans lequel Dumais emprunte au potentiel performatif du texte dramaturgique pour explorer le thème de l’identité. 

La pratique de Dumais s’est beaucoup développée autour de l’intertextualité et de la citation, mettant en lumière les mécanismes par lesquels la lecture informe la pensée. Dans Keep in Touch, le dialogue avec le texte de Tremblay est de nature moins cérébrale. Il s’incorpore plutôt à une pratique matérielle et performative, engageant le corps au sein d’une scénographie théâtralisante rythmée par des procédés de répétition et de mise en abyme. En effet, l’exposition recréé l’univers de Kit (acronyme de Keep in Touch), personnage que l’actrice Josée Rivard incarne dans une œuvre vidéo filmée lors d’une précédente présentation et dans laquelle elle manipule des objets-sculptures qui se trouvent simultanément exposés. 

La performance s’appuie sur le texte de Tremblay, à partir duquel Dumais rédige un scénario et le duo Burn the Bitch produit une composition musicale. La collaboration avec les musiciennes qui devaient prendre part au film, se termine avant le tournage : cela amène l’artiste à engager une comédienne et des figurants qui interviennent sur la musique dans la captation. Cette substitution des personnes appuie cependant les dédoublements dans la performance : les costumes des figurants comme des uniformes permettant anonymité ou interchangeabilité, les copies de têtes de Kit, à partir de modélisations 3D de Rivard, parfois pourvues de caméras qu’elle utilise pour se filmer, ou encore la répétition des répliques en mantras déclamés ou chantés. Les choix de l’artiste, et ceux que l’œuvre semble avoir mis en branle par ses circonstances de production, accentuent le caractère auto-référentiel et anxiogène de la mise en miroir du texte, du film et de l’installation.

D’autres éléments du langage dramaturgique sont transposés aux arts visuels, notamment la dramatisation d’une narration en crescendo et le pouvoir d’évocation des formes et des matériaux. Certaines actions, comme le cisaillement brusque de stries de perles telles des larmes sur le visage de la performeuse, ou la suspension comme une pendaison d’une sculpture anthropomorphique qui figure à l’exposition en tant que jambes de libellules ont effectivement quelque chose de sinistre et de spectaculaire. Le pathos qu’elles suscitent les relient à un pan sauvage de l’œuvre de Dumais, où la représentation du corps, notamment des cheveux ou des dents, induit une réaction duelle d’attraction et de répulsion. Particulièrement ici, les dents réfèrent à l’ordre de la libellule, les odonates– d’odon , dent, et ate, pourvu de. La robe dentée de Kit évoque les crocs de ces insectes-chasseurs, mais sa présentation comme un costume donne aussi une impression d’artéfact mis à distance par des dispositifs scénographiques. 

Les idées de la métamorphose et de la transformation parcourent l’exposition par le motif de la libellule, dont la signification, comme dans le texte de Tremblay, n’est pas explicitement donnée. Ici, elle rompt formellement la circularité obsessive de l’univers de Keep in Touch et offre une perspective d’ouverture et de résolution, tout comme elle participe à la culmination de l’arc narratif de The Dragonfly of Chicoutimi. 

  1. Keep in Touch récite un extrait du monologue de The Dragonfly of Chicoutimi, racontant le personnage de Gaston Talbot, devenu mutique à la suite d’un traumatisme, qui se réveille soudainement inconnu à lui-même et ne parlant qu’anglais.

Texte de Marie-Pier Bocquet

 

Biographie de l’autrice 

Marie-Pier Bocquet détient une maîtrise en histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal et un baccalauréat en arts visuels de l’Université Laval. Ses recherches se déploient à partir d’un intérêt pour l’art conceptuel et pour les usages du langage et du texte dans les pratiques des années 1970 à aujourd’hui. Elle est directrice générale et artistique d’Arprim, centre d’essai en art imprimé et siège au conseil d’administration des Éditions HB, dédiées au dessin actuel. 

Biographie de l’artiste

Depuis 2017, Cindy Dumais travaille sur ENTRETIENS, un projet d’envergure créé à partir d’une collection de premiers jets d’auteur·trices québécois·es qu’elle prolonge par les arts visuels. Elle explore les multiples formes matérielles que peuvent prendre ces pages dans un espace plastique et narratif. Établie à Chicoutimi, Cindy Dumais a présenté de nombreuses expositions individuelles et collectives au Canada et à l’étranger. Ses œuvres ont été acquises par le Musée d’art contemporain de Montréal, le Musée national des beaux-arts du Québec et la Collection Loto-Québec. En 2021, elle a reçu le Prix du créateur de l’année au Saguenay Lac-Saint-Jean décerné par le CALQ. Elle tient le double rôle d’autrice et d’éditrice depuis 2005 avec LaClignotante et elle a cofondé AMV/Art-Mobilité-Visibilité.

 

Remerciements

Merci à Larry Tremblay

Le Conseil des arts et des lettres du Québec

Le Conseil des arts du Canada

Le centre de production en arts actuel TouTTouT

 

https://vimeo.com/913840995?share=copy

Crédit vidéo : Noémie da Silva

Crédit photo : Jean-Michael Seminaro