La gravité organise les hasards

Les pépins de cantaloup germent dans l’empreinte du ballon, mi-aile de papillon, mi-noirceur d’une pièce sans fenêtre.
  • Maude Arès
14 janvier au 4 mars 2023

-Galerie I & II-

La gravité organise les hasards : les pépins de cantaloup germent dans l’empreinte du ballon, mi-aile de papillon, mi-noirceur d’une pièce sans fenêtre.

 

Mes sculptures vivent précaires. À leurs propres rythmes, elles se cassent, se désagrègent, génèrent des formes imprévisibles. Au fil de mes projets, je réutilise les mêmes sculptures et matériaux, renouvelant leurs unions par l’altération de leurs formes, couleurs et textures. Mon travail émerge à partir des cycles de la matière en réaction à leurs états et à leurs possibles.

La gravité organise les hasards se décline en différents volets contigus : certains se sont déjà déployés, d’autres restent à venir. Le volet que j’expose à CIRCA art actuel, Les pépins de cantaloup germent dans l’empreinte du ballon, mi-aile de papillon, mi-noirceur d’une pièce sans fenêtre, prend la forme d’une installation in situ qui présente des phénomènes et vitalités matérielles existant dans un fragile réseau de mobiles, bassins et matériaux trouvés. Ces éléments se maintiennent interconnectés : chaque courant d’air ou passage d’un·e visiteur·euse affecte l’ensemble du réseau. L’installation évoluera au gré des phénomènes physiques et d’activations que j’effectuerai.

– Texte de Maude Arès

Il fait beau et calme dans ce quartier industriel du nord de Montréal. C’est un matin de fin d’été, ou de début d’automne. Maude m’accueille dans son atelier. On mange des raisins, on discute de choses et d’autres : ses projets récents, les détritus de plage, les aléas du vent. À un certain moment pendant la discussion, Maude me montre un petit pot en plastique. Tu vois, c’est un contenant. Mais là, tu le mets à l’envers, et ça devient un abri. En l’écoutant parler de son approche aux objets, à la création, et au monde, je refais le geste à plusieurs reprises. À l’endroit, à l’envers. À l’envers, à l’endroit. Comme dans les œuvres de Maude, tout semble changeant, réversible, modulable. Parfois c’est l’artiste qui décide, parfois c’est le vent. Souvent, c’est la gravité. On ferme les yeux quelques secondes, on pense au poids des choses. Et puis on les rouvre, et tout est nouveau.

Le grand monde contient de grands dangers.

Les autres mondes accueillent le vent.

Celui-ci prend la forme d’une main tremblante.

Celui-là est une feuille morte.

Une chance.

Ce mouvement de l’air n’a rien à voir avec les yeux.

Mais il faut les garder ouverts.

Plus bas, le banc reste comme invitation à une rupture qui ne finit pas de se rompre.

Sinon, nos parois sont étanches.

On ne voudrait pas manquer l’arrivée de la gouttelette.

Elle nous arrivera d’en haut.

Regarde !

On peut se faire un abri, disposer les fragments au sol.

On peut scruter le ciel.

Regarde !

L’air se montre comme courant trouble.

L’air, je t’aime.

Il n’y a rien de géométrique sous le soleil.

Regarde !

L’eau arrive en avertissements translucides.

L’eau, je t’aime.

Je t’aime comme un courant,

comme un raisin qui tombe.

Comme une vapeur inespérée.

Ça se change en particules.

Ça change tout.

Que tu restes proche, que tu t’éloignes en zigzag informe.

Ça va tomber, ça va s’accumuler,

ça va effacer l’ordre de nos contenants,

l’ordre de nos contenus.

Ça va effacer ce qu’on pensait être l’ordre.

Regarde !

Feuille flotte.

Feuille !

Tu ne peux pas faire roseau.

Il se fait lui-même.

Il s’assume sous le jus voulu.

Frotte frivole.

On arrive à la rive.

Oui, feuille flotte.

Oui, tout est lié.

Quand ça coule, quand ça contient.

Quand tout ruisselle vers le même matin.

Celui qui n’existe pas encore.

Regarde !

Mon œil est végétal.

Perdu comme un poil dans le nid noir.

Qui voit vrai ?

Ami·e gouttelette.

L’ami·e d’un·e ami·e.

Et ses ami·e·s aussi.

Regarde.

On ne meurt pas d’avoir trop pleuré.

On ne meurt jamais.

Le bol attrape et contient.

Le bol renverse.

On est peut-être déjà vivant·e·s.

Dans un monde proche des autres mondes.

Plus proche qu’on pensait.

Une feuille au sol,

une feuille dans la bouche.

Tout est dense.

Fais-nous engraisser comme un œil végétal.

Fais-nous rire.

Cloche, sonne et tombe.

Ne sonne plus.

Filament tire.

Tête-soleil tire et tète.

Des choses,

tu as voulu être proche.

Une coquille varie pour elle-même.

Un abri se fait oracle.

Les fragments s’assument.

Les décisions se prennent toutes seules.

Nous, on reste suspendu·e·s en filaments.

On s’étire si loin.

De plus en plus.

Notre fond est un toit.

Nos orteils sont des galets.

Sapinage aluminium.

Faïence feuille des eaux salées.

Butte prend bain.

Fragment se fait île.

Des choses,

de nous,

tu es très proche, finalement.

-Texte de Simon Brown

 

Biographie de l’auteur

Simon Brown (il-iel) est poète, traducteur et artiste interdisciplinaire originaire du sud-ouest du Nouveau-Brunswick (territoire traditionnel peskotomuhkati) vivant dans la région de Québec (territoire traditionnel wendat et abénaquis). Ses recueils, zines et livres d’artiste ont paru chez des éditeurs au Québec, au Canada et en France, dont Le laps, Vanloo, squint, Frog Hollow, above/ground et Moult. Simon a été artiste en résidence au festival VIVA ! Art Action (Montréal), au Banff Centre (Banff), à Vaste et Vague (Carleton), au Mois de la poésie (Québec), au Mois Multi (Québec) et à Particules de Littérature québécoise mobile (Montréal). simonbrown.ca

 

Biographie de l’artiste

Maude Arès est artiste interdisciplinaire. Se déployant en installation, en sculpture, en performance, en scénographie et en dessin, sa pratique artistique investigue les relations sensibles entre des matériaux trouvés. Par l’agencement de ces derniers, son travail met en scène des environnements vulnérables qui invitent à porter attention aux subtilités des mondes tangibles. Maude décline ses réflexions sur la performance des matériaux et des gestes qui les animent, dans des projets qui entremêlent arts visuels et arts vivants. Par l’attention portée à la charge et aux activités des matériaux, elle observe les relations d’interdépendances visibles et invisibles liant êtres humains et non-humains. 

Ses projets personnels et collaboratifs ont été présentés à Montréal et en Colombie dans des centres d’artistes et des théâtres (Théâtre La Chapelle, Galerie B-312, Tangente, Théâtre Aux Écuries, Galerie de l’UQAM, Campos de Gutiérrez, Centre de design de l’UQAM, Fondation PHI pour l’art contemporain) et dans le cadre d’événements (OFFTA, Nuit Blanche à Montréal, ORANGE – L’évènement d’art actuel de Sainte-Hyacinthe, Chromatic, OUF! – Festival Off Casteliers).

 

REMERCIEMENTS

Merci à Alexia Laferté-Coutu, Simon Brown, Gabrielle Harnois-Blouin, Guy Blouin, Dominique Rivard, Daniel Pelchat, Massimo Guerrera, Simon Labbé, Laurent Wermenlinger, Thibaut Quinchon, Sarah-Jeanne Riberdy, Carolyne Scenna, Jean-Michel Leclerc, Vincent Lafrance et Samuel Gougoux.

Merci à ma famille et mes ami·e·s.

Merci au Centre d’art Rozynski, à Est-Nord-Est, à ORANGE, l’événement d’art actuel de Sainte-Hyacinthe, et au Conseil des arts du Canada.

 

Article de Nicolas Mavrikakis sur l’exposition de Maude Arès dans Le Devoir :

https://www.ledevoir.com/culture/arts-visuels/777659/arts-visuels-maude-ares-la-realite-des-choses 

 

Crédit photo : Jean-Michael Seminaro