L’a-maison

  • Marie-Christiane MATHIEU
du 8 janvier au 5 février 2011

Création d’une fiction ou comment trouver sa place?

Le concept d’aître (être+aire) est un anachronisme, pour ne pas dire un archaïsme qui, suivant Georges Didi-Huberman, «a la particularité phonétique en français, de retourner une notion de lieu vers une question d’être», et de mettre en évidence ce qu’il y a entre les deux, l’air. 

– Marie-Christiane Mathieu


Marie-Christiane Mathieu, artiste multidisciplinaire navigue depuis nombre d’années de la scénographie à l’art sonore et géolocatif, en passant par l’holographie, la vidéo, le dessin, le petit point, la sculpture, le web et les commandes d’art public. Elle joue avec la lumière, l’image, le langage (les mots et le langage informatique) et le son toujours avec la même détermination, le même leitmotiv, celui de «prendre sa place» et d’«habiter son espace». Ces éléments forment sa pâte à modeler, desquels surgiront l’«aître», notion fouillée par Henri Maldiney, reprise par Georges Didi-Huberman, et que Marie-Christiane Mathieu a mise à sa main. L’aître, tel qu’envisagé par Marie-Christiane Mathieu contribue à créer cet espace, ce lieu réel, virtuel et fictif, que l’artiste désire habiter et investir, dans lequel elle convie les visiteurs.

Dans cette nouvelle proposition, Mathieu se dédouble, se décuple, se clone, pour illustrer toutes les activités qui l’animent au cours d’une journée dans l’espace privé de l’habitation et dans celui non moins privé, mais disons plus périphérique à celui de la «maison», soit celui de l’atelier, où advient le processus de réflexion, de création et de production de ses projets. Ce faisant, l’artiste se permet aussi de nous mener en bateau, de manière ironique et équivoque, par ses dédoublements de personnalités aux limites de l’état borderline accentué par «la mise en abîme du centre, par l’épuisement du sujet lui-même, par la démultiplication ou surproduction du même, tel un motif constamment répété. Un excès de soi comme limite ou atteinte d’un paroxysme.»

Nous pourrions avancer que l’artiste en général, et Marie-Christiane Mathieu en particulier, se trouve souvent tiraillé(e) entre les options qui se présentent à lui ou à elle. Ne sait plus quoi choisir. Se sent coincé(e) «entre l’arbre et l’écorce». Une solution à ces dilemmes déchirants, à ces velléités qui nous tenaillent et nous appellent, est d’avancer sur la fine ligne séparant la réalité de la fiction. Mais l’adage voulant que la réalité dépasse la fiction rend cette ligne de démarcation entre le vrai et le faux, entre la «vraie vie» et le théâtre (lieu de tous les probables) inévitablement ténue. En conséquence, le regardeur, qui arrive avec son «bagage», pour paraphraser Walter Benjamin, en tirera un récit qui lui siéra, en fonction des repères délimitant son périmètre de compréhension et de sensibilité, qui animeront son imaginaire.

En ce sens, la démarche de Marie-Christiane Mathieu nous propose une oeuvre ouverte à laquelle le spectateur peut s’identifier, à travers l’illustration d’idiosyncrasies de la vie quotidienne, qui relèvent de l’universel, du moins dans le monde occidental. L’artiste raconte son histoire, vraie ou fausse, mais aussi, dans une certaine mesure, celles d’autres artistes, fictifs ou réels, en même temps que son fil d’Ariane tisse le récit probable ou non, des regardeurs. Nous, les regardeurs pouvons donc ourdir nos propres fictions, à partir des éléments dévoilés par l’artiste. Mathieu ouvre ainsi les portes de son théâtre aux spectateurs, leur offrant une mise en scène du «même démultiplié» à partir de leur propre histoire (avec un petit h), de leur «bagage» et des détours de leur imagination et ce, à leur insu.

Aître ou ne pas aître? : Voilà la question à élucider…

Sylvie Lacerte


 Remerciements 

L’artiste remercie le Fonds de recherche sur la société et la culture, l’École des arts visuels de l’Université Laval. 

Caméra : Laurence Mathieu-Léger, Samuel Gagnon-Tremblay, Nataliya Petkova
Rotoscopie : Alexandre Young-Vigneault, Rémi Danvoye
Montage et technique : Louis-Robert Bouchard